En beau tabarnak

« Barreau de chaise de sac à papier de sirop de calmant de sainte bénite à poil. » Jurons que mon père, Roméo Robichaud (1925-2003) enfilait souvent à la maison, restitués grâce à ma sœur, Louise, qui a bonne mémoire de ces choses.

Partout dans le monde, à toutes les époques et dans toutes les langues, on jure ou on insulte. En Nouvelle-France, colonie française d’Amérique du Nord (1608-1760) tout comme dans la métropole, jurer consiste à invoquer le nom de Dieu en blasphémant : sacredieu, mort Dieu, ventre Dieu, nom de Dieu, tort Dieu.

Opposition à Dieu qui, dans la colonie, se transmet à l’Église catholique et au contrôle social qu’elle exerce sur ses ouailles, car, fait méconnu, une importante proportion des colons venus de France est de confession protestante, y compris Samuel de Champlain, le fondateur de Québec. Même mariés à des « filles du Roy » catholiques, ces « hérétiques », persécutés en Europe, développent des « sacres » presque tous liés au culte sacramentel de la messe et qui deviennent des marqueurs de leur identité. Sentiment partagé et avivé par la rébellion des Patriotes (1837-1838) et par la Révolution tranquille (1960-1966) alors qu’un peuple en devenir se lève : les Québécois.

Les jurons révèlent un aspect du vocabulaire des langues vivantes et puisque la culture québécoise a longtemps été préservée par l’oralité, il n’est pas étonnant qu’elle soit si riche de mots normalement interdits à l’écrit. En voici quelques-uns : baptême, câlisse, calvaire, crisse, ciboire, estie, maudit, sacrament, tabarnak. Leurs dérivés par atténuation : batince, batèche, bateau; câlasse, câlique, câline de bine; calvâsse, calvince, calvette, calvinus, calvinâsse, carosse ; câliboire, cibole, cibouleau, ciboulette, saint-ciboire, citron, gériboire, simonaque, sirop de calmant ; criffe, crime, criminel, cristal, Christophe Colomb, cream puff ; ostifi, hostination, astic, sti, hostie toastée, esprit ; mautadit, maudine, mosusse, saudit, soda ; sac à papier, sacramouille, sacramence ; tabarnache, tabarnik, tabarnouche, tabarnane, taboire, baslak, tabarslak, tabarouette, tableau. Par agglutination pour accentuer leur expressivité : hostie de criss, crisse de câlisse de tabarnak. Par dérivation grammaticale : câlisser, décâlisser, se câlisser, se contre-câlisser, câlissement, en câlisse ; décrisser, se crisser, déconcrisser, se contre-crisser, crissement, en crisse ; viarge, déviargé ; et l’inusuel mais jubilatoire désainciboirisé.

Le langage se renouvelle en permanence. Ainsi vont les jurons auxquels les Québécois ont ajouté quelques insultes modernes, parmi lesquelles cave, crotté, épais dans le plus mince, gnochon, mongol à batteries, moron, moumoune, niaiseux, pas d’allure, plein de marde, sans-dessein, sans-génie, taouin, ti-cass, toton, trou du cul, twit, zouf. Car ces gros mots jouent un rôle d’exutoire satisfaisant et libérateur ; ils renferment une fonction sociale : se reconnaître en tant que membre d’une même communauté et réhabilitent une branche de l’éloquence particulièrement riche de la langue française, souvent sous-estimée et méprisée.

 

Devoir

En France au 19e siècle, l’injure devient truculente, colorée et bon enfant sous la forme d’éblouissantes offenses à la politesse et à la pudeur. Trouvez le sens de celles-ci.

Crocheteuse de culottes.  
Dépuceleur de nourrices.  
Membre abrégé de la galanterie.  
Pisse-verglas dans la canicule.  
Tondeur de la nappe.  

Réponse

 

Crocheteuse de culottes. Femme de mauvaise vie.
Dépuceleur de nourrices. Fanfaron qui se vante de ses exploits sexuels.
Membre abrégé de la galanterie. Homme au sexe minuscule.
Pisse-verglas dans la canicule. Homme froid et indifférent.
Tondeur de la nappe. Pique-assiette, parasite.

 

Offenses auxquelles le français standard contemporain ajoute à son « injurologie » des invectives axées généralement sur les tabous sexuels et scatologiques telles abruti, brise-burnes, connard, couille molle, empaffé, face de craie, fils de pute, mauviette, moins-que-rien, moule à merde, nique de ta mère, raclure, résidu de capote, tête de nœud, trouduc.