À moi la nuit, toi le jour

Premier et charmant roman de Beth O’Leary traduit et publié en 2019 en français. À lire si vous recherchez désespérément un logement pas cher. Et que vous ne voyez pas d’objection à vivre en cohabitation avec une personne étrangère, qui possède déjà un logis mais qui désire réduire ses frais.

C’est l’histoire, comprends-tu, de Tiffany Moore et Leon Twomey qui démontrent qu’à Londres, ça peut marcher. Tiffy répond « oui je le veux » à l’annonce de Leon sans jamais le rencontrer. Comme le studio ne comporte qu’une chambre, Leon, qui travaille de nuit, l’habitera et dormira dans le lit le jour; Tiffany en prendra possession après 18 h jusqu’au matin.

En voici des petits bouts.

(Tiffy racontant ses problèmes de logement à ses amis Gerty et Mo)
« Gerty (…) a passé les trois dernières années dans un appartement si parfaitement propre qu’on aurait dit une image de synthèse. »
« Je déglutis. Je sens sur moi le regard attentif de Mo. C’est le problème quand on a un ami psy. Mo est pour ainsi dire télépathe de métier et il semble ne jamais mettre ses superpouvoirs sur pause. »

(Tiffy est assistante d’édition dans une maison spécialisée dans les livres de loisirs créatifs, métier qui rapporte peu)
« En ce moment, mon bureau est ce que j’ai le plus proche d’un chez-moi. »

(Son ex l’a foutue dehors de chez lui pour vivre avec une autre femme. Son moral est chancelant et elle se sent vulnérable)
« (…) un type en voiture me hurle : Remue un peu ton cul!, une agression suffisante pour me renvoyer dans la peau de la Tiffy bonne à rien, version post-séparation. »

(Devant le bâtiment qu’elle trouve accueillant où habite Leon)
« (…) un immeuble trapu tout en briques, posé sur un jardinet parsemé de brins d’herbe tristounets qui ressemblent moins à une pelouse qu’à du foin tondu. »

(Leon le lunatique chez sa blonde Kay part travailler à l’hôpital où il est infirmier)
« Leon! Tu es encore en pyjama!
Mince. Il me semblait bien que j’avais réussi à atteindre la porte plus vite que d’habitude. »

(Tiffy, telle une égérie du crochet, devient mannequin sur un bateau pour promouvoir un livre sur les vêtements tricotés)
« Difficile de dire où finit le quai et où commence le bateau. J’ai l’impression d’être brusquement la proie d’un léger vertige, comme si le sol bougeait doucement sous mes pieds, et j’en conclus qu’on a quitté la terre ferme. »

(Son ex, Justin le dominateur, vient la relancer)
« Je songe au triste état qui était le mien ces derniers mois. À quel point j’étais démoralisée à l’idée de dire adieu à cet appartement (celui de Justin). Au nombre de fois où j’ai regardé la page Facebook de Patricia (la nouvelle blonde de son ex) sur mon ordinateur portable, arrosant mon clavier de larmes amères, avant de rabattre l’écran d’un coup sec, un peu inquiète du risque d’électrocution. »

Tiffy et Leon s’écrivent de nombreux Post-il pour régler la quotidienneté de leur relation : côté de lit où chacun doit dormir même s’ils ne dorment pas ensemble, partage du garde-robe, lunette de toilette à tenir rabaissée. Ils en viennent à sympathiser, toujours par écrit, en s’offrant qui des biscuits, qui des champignons à la crème. Et se mettent à se confier davantage de confidences, souvent sur le ton de la rigolade.

(Leon à qui Tiffy a prêté un livre racontant l’itinéraire d’un maçon devenu décorateur d’intérieur)
« Malgré la fatigue, il m’a maintenu éveillé jusqu’à midi. C’est l’histoire de ton ex? Et si ce n’est pas ton ex, est-ce que je peux l’épouser? »

(Tiffy en proie à un début de sentiment pour Leon qui en parle à son amie et collègue Rachel)
« Je crois que j’ai des palpitations.
Plus personne n’a de palpitations depuis le Moyen Âge. »

(Tiffy rend visite à Richie, le frère de Leon emprisonné sous de fausses accusations)
« Comment c’est là-dedans? Sur une échelle qui va, disons, d’Alcatraz au Hilton? » (Elle réussira à le faire sortir de là grâce à Gerty, son ami avocate, ce qui, bien sûr, la rapprochera davantage de Leon)

(Tiffy rencontre Holly, une jeune patiente de Leon et lui demande comment elle s’appelle)
« Holly, Holly qui passe sa vie au lit. »

(Elle lui propose une balade en fauteuil roulant)
« Elle (Holly) se marre quand j’échoue lamentablement à faire avancer l’engin, et pointe le doigt sur le frein.
Tout le monde sait qu’il faut d’abord enlever le frein.
Et moi qui croyais que tu étais super lourde. »

(Holly parle de Leon à Tiffy)
« Ce qu’ils (les autres) ne savent pas, c’est qu’il économise ses mots pour en faire profiter les gens qu’il préfère, comme toi et moi. »

(Leon met fin à sa relation avec Kay, sa blonde)
« Le silence qui salue ces paroles ressemble à celui qui suit un coup de feu. »

(Tiffy dehors parlant avec un auteur de sa maison d’édition, sorte d’ermite norvégien)
« Il n’y a pas grand monde ici, principalement des gens venus griller une cigarette – des silhouettes un peu voûtées semblant lutter contre les vents contraires. »

(Tiffy, après une soirée bien arrosée)
« L’œil que j’ai péniblement réussi à ouvrir se pose sur le radio-réveil. Il indique une heure qui ne peut en aucun cas être juste. Cet appareil prétend qu’il est 8 h 59. Je dois être au travail dans une minute. »

Leon, de retour chez lui après son boulot de nuit, tombe sur Tiffy, nue sous la douche. Première rencontre après six mois d’échange de Post-it. Petite gêne mais pas trop entre deux.

(Tiffy reçoit une promotion de son directeur éditorial)
« Je parviens à lui rendre son sourire, mais je ne sais pas trop comment je suis censée réagir. Ce que j’ai vraiment envie de faire, c’est de demander combien d’argent va me rapporter cette promotion. J’y renonce finalement, consciente qu’il n’existe pas de façon digne de poser une telle question. »

(Leon la félicite en lui préparant une assiette de champignons Stroganoff. Tiffy lit son mot sur le frigo)
« Je pose le front sur la porte du Frigidaire pendant quelques secondes, puis passe les doigts sur l’épaisse couche de petits mots en prenant bien soin de ne pas faire tomber les aimants. Il y a tant d’histoires et d’émotions entassées sur cette porte : plaisanteries, secrets partagés, anecdotes, joies et peines de nos existences qui se croisent et évoluent en parallèle. »

Leon recherche un certain Johnny White, l’amoureux perdu de l’un de ces patients les plus âgés, M. Prior. Or, ce patronyme est courant en Angleterre et Leon se promène partout pour trouver le bon. Il demande à Tiffy si elle veut l’accompagner dans ses déplacements qui ont lieu de weekend. Elle accepte.

(Dans le train)
« J’ai l’impression que Leon aime cette paix : pas de malaise, quand la conversation vient inévitablement à se tarir, car le silence semble faire partie de sa nature. »

(Tiffy glisse dans l’eau et se foule un pied)
« Lentement, le crâne dans un étau, je hoche la tête. Leon m’attrape sous les aisselles et les genoux, et je sens que je quitte mon lit de galets. »

(Occasion pour les deux de se rapprocher)
« Je suis à deux doigts d’aller m’asseoir sur ses genoux. À cet instant, je ne vois pas d’autre endroit où j’aurais plus envie d’être. »
« J’approche mon visage du sien et mes yeux plissés parcourent ses traits à toute vitesse – yeux, bouche, yeux, bouche. Je vois qu’il fait comme moi (…) et on reste suspendus dans l’instant comme sur une balançoire au sommet de sa course. »

(Leon au travail, fâché parce qu’il croit que Tiffy a accepté d’épouser son ex, Justin, une manigance de ce dernier; le salaud)
« Je glisse de chambre en chambre, transparent, comme si j’étais le fantôme de l’hôpital. »

(Au chevet de M. Prior qui a retrouvé M. White VI, le bon, celui de Brighton, son vieil amoureux perdu)
« Il (M. White) se remet à regarder le sol. S’enferme dans sa pudeur. Dans sa douleur. Je viens m’asseoir à côté de lui, frappe doucement à la porte de son silence. »

(Leon retrouve Tiffy et se rabiboche avec elle; le vieux verbe rabibocher, employé parfois par ma femme, signifiant se réconcilier)
« Tu me plais comme tu es, avec tes petites zones d’ombre et tes immenses zones de lumière. » Ils baisent ensuite comme des bêtes.

Deux ans plus tard, Tiffy trouve un Post-it collé sur la porte d’entrée de leur appartement à Londres. Leon l’invite à enfiler des vêtements pour l’aventure, à prendre le train jusqu’à Brighton où elle s’était blessée et où ils s’étaient embrassés pour la première fois. Sur place, il l’invite à lire un autre mot dans lequel il la demande en mariage. Si la réponse est « oui », elle devra le rejoindre dans la chambre où ils avaient aussi dormi « ensemble » et s’étaient ensuite connus « bibliquement » pour la première fois. Tiffy court le rejoindre et saute dessus : « Il n’y a vraiment que toi pour trouver un moyen d’être absent lors de ta demande en mariage. »

Jolie histoire qui prouve hors de tout doute que les petites annonces, celles pour trouver un logement pas cher ou pour trouver l’âme sœur, ça fonctionne. Je me rappelle d’ailleurs très bien celle que j’avais publiée dans le journal La Presse il y a quarante ans : « Homme usagé, modèle 1951, comme neuf, se cherche une blonde pour le sortir de son garage. » Ma femme y avait répondu et nous sommes ensemble depuis tout ce temps.