Minou noir est mort. À seize ans. Pas à un âge de patriarche, juste de vieux minou.
Une amie de ma deuxième fille, Hervée, lorsqu’elle était au primaire, nous l’avait confié en adoption. Né dans une ruelle, il était le seul, parmi nos quatre chats, qui allait dehors. Un besoin irrépressible. Au point, l’été, de défoncer les moustiquaires pour sortir prendre l’air et se coltailler avec les autres chats du voisinage. Il avait d’ailleurs perdu un bout d’oreille durant l’une de ces rixes. Je n’ose imaginer quel bout manquait aux autres matous.
Minou noir n’était pas colleux. Pas le genre à vous rejoindre devant la télé pour quémander une caresse. Ou se coucher sur votre portable pour capter l’attention. Il n’était pas non plus particulièrement affectueux envers les autres chats de la maison. Jouer avec la plus jeune, Gaïa, l’indisposait. Pas le type chasseur. Qui vous ramène une petite bête morte sur le perron en pensant vous faire plaisir. Ni acrobate. Comme grimper dans les rideaux. Bien qu’il ne détestait pas, au mieux de sa forme, escalader le frigo pour contempler le monde de ce haut perchoir. Comme dans le film Le Roi lion. Le Roi minou. Pas particulièrement curieux. Sauf lorsqu’il s’agissait de mettre son museau dans les sacs remplis de bouffe à mon retour de l’épicerie.
Minou noir était un chat indépendant qui menait sa vie comme bon lui semble. Pour lui, le bonheur consistait à dormir de longues heures, à se secouer les pattes avant de sortir dehors les matins frisquets faire ses besoins sous la galerie et marquer son territoire, à s’étendre dans le gazon l’été, à surveiller ses sujets, écureuils et oiseaux, folâtrer dans l’herbe et les arbres, à boire l’eau transparente de la piscine ou du robinet, à prendre ses repas sans se presser, à s’étirer contre la poubelle de la cuisine quand il était repu et, après toute cette agitation, à faire la sieste en boule sur son tabouret préféré, peu avant d’aller se coucher, pesamment, pour la nuit.
Parfois, il acceptait qu’on lui gratouille la tête et ronronnait. Antoine, mon deuxième fils, le prenait dans ses bras, pour se payer sa tête. Minou noir le laissait faire jusqu’à ce qu’il émette un miaulement éraillé qu’Antoine interprétait comme: « Veux-tu ben me déposer par terre, ciboire! »
Depuis octobre 2020, il était malade. Ses reins ne fonctionnaient plus. Avis des deux vétérinaires consultés, il allait mourir avant la fin du mois. Il avait perdu l’appétit car manger lui donnait mal au cœur et au ventre. Il n’avalait plus de repas consistants. Pas même de friandises comme des Temptations. Que du manger mou comme les humains quand ils sont vieux ou qu’ils n’ont plus de dents. Du poulet en pâté. Et encore, une bouchée par-ci par-là. Bien sûr, il avait beaucoup maigri. Les derniers temps, il ressemblait à un minou de camp de concentration.
Mais les vétérinaires consultés ont oublié que les chats ont plus d’une vie. Contre toute attente, Minou noir a retrouvé une certaine vigueur. S’est remis à manger plus. À quémander les restants de table. À demander la porte. À errer dehors. À se rasseoir sur son tabouret préféré. Jusqu’à il y a trois jours.
Jocelyne, Hervée, Alexandre, Antoine, Étienne et moi avons tous su alors que c’en était fait pour lui. Ne mangeait plus. Buvait à peine. Se déplaçait péniblement sur les trois étages de la maison comme s’il cherchait une pièce où il se sentirait mieux. Le corps raidi comme si la mort le pétrifiait avant même qu’il n’ait rendu son dernier souffle.
Malgré sa condition éprouvante, ces quatre derniers mois, pas une fois je ne l’ai entendu se plaindre du mal qui le rongeait. Ce n’était pas son genre de pousser des geignements. Minou noir s’est effacé en toute discrétion hier après-midi sans saluer personne. Ce n’était pas son genre de dire au revoir. Mais nous, sa famille humaine, si. Au revoir, Minou noir. Et merci de nous avoir laissé plein de poils en souvenir.