Le bras de Dieu

Le village de Saint-Éloigné-du-Monde ne comptait qu’une église. Chaque dimanche, les fidèles s’y rassemblaient pour assister à la messe. Sauf le fou du village. Les villageois l’avaient en aversion. Il était laid, petit, gros, bossu, poilu, boitait et sentait le dessous de bras. Il grognait plus qu’il ne parlait. Les enfants et les femmes le craignaient plus que le diable.

Mais un dimanche, en pleine homélie du prêtre, le fou du village entra dans l’église, telle une apparition. Il fit trois pas dans la nef, s’arrêta net et cria: « Pourquoi moi Seigneur? » Les enfants hurlèrent, les femmes crièrent, les hommes brandirent le poing. Le fou fit de nouveau trois pas dans le vaisseau central en réitérant sa plainte: « Pourquoi moi Seigneur? ». Quelques petits vieux pissèrent dans leur culotte; la mairesse tomba sans connaissance de son banc dans la première travée.

Mais le prêtre. se rappelant tout à coup, que le fou était une brebis de son église, galeuse, certes, mais brebis quand même, reprit avec une même inflexion déchirante dans la voix: « Pourquoi lui Seigneur? » Le fou, encouragé, fit trois nouveaux pas vers l’avant et se trouva à la croisée du transept. Dodelinant de la tête et bavant, il se jeta à genoux en pleurant: « Pourquoi moi Seigneur? » Des bigotes, ébranlées par l’émotion, se dépoitraillèrent et, se signant, se mirent à scander avec le prêtre: « Pourquoi lui Seigneur? »

Dans l’instant, un souffle puissant éteignit les cierges du chœur et traversa les fidèles, le souffle de Dieu. Toute l’assemblée, craignant la colère de Dieu, se figea pour prier en gémissant: « Pourquoi lui Seigneur? » Le toit de l’église se fendit alors en deux et le bras de Dieu descendit des cieux. Tous surent qu’ils assistaient à un miracle. Le fou, stigmatisé et la guédille au nez, reprit: « Pourquoi moi Seigneur? »

Alors Dieu avança son bras vers lui. Il le prit par le collet et le souleva de terre. D’une voix surnaturelle, détachant chaque syllabe, Il répandit sa parole, la parole de Dieu, en secouant le fou très fort de droite à gauche: PAR CE QUE TU M’É COEU RES.

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