Menaud, maître-draveur

Court roman (159 pages) de Félix-Antoine Savard, curé de son état, paru la première fois en 1937. Ouvrage classique de la littérature québécoise. Roman du terroir. Presqu’aussi connu que Maria Chapdelaine duquel son auteur s’inspire.

C’est l’histoire, comprends-tu, de Menaud, paysan, homme des bois et maître-draveur. Mais aussi nationaliste dans l’âme. Qui mène un combat désespéré contre l’appropriation du territoire des Canadiens-français par les Anglais. Particulièrement la montagne, qu’il appelle joliment « les Hauts ».

Les envolées lyriques solennelles, comme des sermons d’une autre époque, m’ont un brin ennuyé. Mais les mots savoureux, « inactuels », désignant des réalités disparues et les jolies tournures de phrases qui magnifient l’œuvre de ceux qui furent nos ascendants, m’ont charmé. En voici des petits bouts.

(Menaud, acceptant d’agir encore comme maître-draveur malgré son aversion pour les boss anglais, des étrangers)
« Les pourparlers avaient été longs et durs, entrecoupés de silences hostiles et de protestations violentes contre cet autre étranger qui le commanderait, dans son propre pays, lui, seigneur et maître des longs trains de bois que, durant tant d’années, il avait conduits, sous la pique de fer, dans les cris et les tumultes de l’eau révoltée. »

(Après la messe, Marie, fille de Menaud, avec le Délié qui lui fait la cour)
« Depuis quelque temps, au sortir de l’Église surtout, elle avait senti que les yeux du Délié s’arrêtaient sur elle. Aussi, sa chair s’en était-elle émue. »

(Le Délié, veillant chez Menaud, parlant de la pluie et du beau temps avec Marie)
« -La route de Mainsal est vilaine… »
« – C’est la deuxième journée de noroît; le vent va calmir demain… »

(Menaud fait comprendre au Délié, un « traître à la patrie » ami des Anglais, qu’il est temps de partir)
« Vers les dix heures, il se leva, remonta l’horloge, sortit pour voir les étoiles… rentra fourgonner son feu qui s’aviva soudain comme une talle de harts rouges.

(Menaud et Marie chez leur voisin)
« Ils passèrent par chez Josime. Le four était ouvert: on venait de cuire, et cela donnait à l’aube une haleine de bon pain. »

(Menaud et les autres draveurs, en route vers leur lieu de travail, font un feu de camp)
« Sous les branches toutes fleuries d’étincelles. »

(Et affrontent les éléments dans la montagne et sur l’eau)
« Sous les fouets de la pluie, l’un derrière l’autre, les hommes, pataugeant dans les mousses et s’arrachant aux broussailles, escaladaient misérablement les piquerons de la montagne. »
« De temps en temps, il (Menaud) parait de l’aviron, criait hue! dia! aux rameurs quand un écueil labourait le courant et taillait la vague en oreille de charrue, fier de sa barque, lorsqu’elle faisait des croupades et prenait des airs relevés au milieu des écumes et des gargouillements de l’eau. »
« Soudain l’embâcle se mit à frémir, à gronder, à se hérisser. La bête monstrueuse se dressa sur l’eau, se tordit, et se mit à dévaler en vitesse, tandis que, derrière elle, s’acharnaient toutes les meutes d’eau. »

(Joson perd la vie. C’est le fils de Menaud, celui en qui il avait placé ses « accroires d’avenir »)
« Je voulais que mon enfant eût la douleur de son pays. »

(De retour chez lui)
« … toutes les voix s’étaient éteintes au bord des galeries où les paysans de Mainsal avaient coutume de jaser et de boire la fraîche du soir. »

(Menaud, de plus en plus obsédé par les étrangers)
« Posséder! s’agrandir! Tel était le mot d’ordre venu du sang, tel était l’appel monté de la terre, la terre qui, toute, dans la grande nuit du printemps, clamait: « Je t’appartiens! Je t’appartiens! par le droit des morts dont je suis le reliquaire sacré, par tous les signes de possession que, depuis trois cents ans, les tiens sont gravés dans ma chair! »

(Marie, qui ne sait plus comment remonter le moral de son père)
« Alors elle se mit à besogner grand train, allant partout où la menaient ses habitudes, du buffet à la table, de la table à son feu. »

(À l’été, de jolis mots pour décrire une période de sécheresse)
« Les ruisseaux à sec ne sont plus qu’un long alignement de vertèbres de pierres. »

(L’hiver venu, Menaud décide de se rendre à La Malbaie)
« La lumière était grise. À peine pouvait-on distinguer les entourages. » (Il n’y arrivera pas. Pétrifié dans une tempête de neige comme François Paradis dans Maria Chapdelaine, il est sauvé in extremis par le Lucon, qui devient le nouveau prétendant de Marie)

(Déclaration d’amour, en peu de mots, de Marie au Lucon)
« – Ce serait plaisant de vivre icitte… tranquille! »

(Réponse tout aussi brève du Lucon)
« – Tu m’as mis tout à l’envers. »
« Il se pencha sur elle; et le grand mot qu’il n’osait dire, il le lui imprima sur le front. »

Menaud, « s’abîmant en lui-même », sombre dans la folie. Mais l’histoire ne finit pas si mal puisque Marie et le Lucon se sont promis l’un à l’autre. Qu’ils feront, sans doute, une quinzaine d’enfants, mangeurs de bleuets et se partageant les baies « à la régalade », fort heureux de vivre dans la belle région de Charlevoix.

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