À 75 ans, Qaletaqa « Gardien » était l’homme le plus sage de la tribu mojave. Il s’était habitué à ce nom, bien qu’il préféra celui que se donnaient ses ancêtres, Pipa a’ha macave, « le peuple qui vit près de l’eau ». Le grand fleuve Colorado. Mais c’était avant que les Blancs ne confisquent leurs meilleures terres, ne leur laissant que de vastes étendues désertiques; au Sud de la Californie, en Arizona et au Nevada.
Chaque année, Qaletaqa recevait des visiteurs venant de tribus voisines, qui parlaient diverses langues yumanes. Qaletaqa les connaissait toutes. Et voici qu’apparurent dix jeunes femmes et hommes. Ils se dirigèrent vers lui et se présentèrent avec déférence. Je suis Adsila « Fleur ». « Je suis Ahiga « Il combat ». Je suis Ayita « La première à danser ». Je suis Dustu « Grenouille sur ressort ». « Je suis Chumani « Goutte de rosée ». Je suis Honiahaka « Petit loup ». Je suis Magaskawee « Cygne gracieux ». Je suis Omawnakw « Plume de nuage ». Je suis Odahingum « Ondulation de l’eau ». Je suis « Celui qui marche avec ses orteils pointant à l’extérieur », dit Wahanassatta, d’un air malicieux, mimant Charlie Chaplin, sous le rire des autres.
Chumani fut la première à s’adresser à lui. « Qaletaqa, s’il-te-plaît, parle-nous des esprits de notre tribu ». Une histoire que Qaletaqa connaissait fort bien: « Nokomis, notre Grand-Mère la Lune, est la première de toutes les mères. Elle habite dans les cieux près de sa fille, notre Mère la Terre. De là, Nokomis surveille ses petits-enfants et les conduit doucement dans la nuit. Notre Mère la Terre nourrit tous ses enfants et en prend soin dans les mondes végétal, animal et humain. La vie vient de notre Mère la Terre et y retourne pour compléter son cycle. Chaque jour, notre Père le Soleil, celui qui apporte le matin, donne lumière et chaleur à ses enfants. Les battements de cœur de notre Mère la Terre ont leur écho dans les battements de tambour des Mojaves. Mais le loup, qui chante à la lune, nous ordonne de ne pas oublier que nous venons de Nokomis, notre Grand-Mère à tous. »
L’espiègle Wahanassatta se tourna vers lui à son tour. « Qaletaqa, s’il-te-plaît, parle-nous de Neil Armstrong ». Qaletaqa sourit. Il comprit que Wahanassatta connaissait déjà cette histoire mais qu’il voulait la réentendre.
Il parla : « En 1969, je tombai sur deux hommes blancs, habillés de combinaisons spatiales. Ils s’appelaient Neil Armstrong et Buzz Aldrin. Ils étaient les astronautes de la mission Appolo 11 et s’entraînaient sur nos terres très semblables, selon eux, à la mer de la Tranquillité, où devait avoir lieu leur alunissage. Quand j’entendis cela, je restai quelques instants silencieux, puis je leur demandai s’ils pouvaient me faire une faveur. »
« Laquelle? »
« Eh bien, dis-je, les gens de ma tribu croient que des esprits saints vivent sur la lune. Je me demandais si vous pouviez leur transmettre un message important de la part des miens. »
« Quel message? ».
« Je prononçai quelques mots dans ma langue tribale, à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’ils les aient assimilés. »
« Mais qu’est-ce que ça veut dire? »
« Je ne peux vous le dévoiler. C’est un secret que seuls sont autorisés à connaître notre tribu, les esprits et notre Grand-Mère la Lune. »
« Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong posa le pied sur la lune. Et prononça ses mots célèbres : Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité. Puis, il psalmodia les mots mojaves que je lui avais appris. Les techniciens de la NASA crurent à de la distorsion et ne lui en tinrent pas rigueur. »
Les dix jeunes gens buvaient les paroles de Qaletaqa. « Et quel était ce message, demandèrent-ils d’une seule voix? »
« Le message était : Notre Grand-Mère la Lune, ne croyez pas un mot de ce que les hommes blancs vêtus d’un scaphandre vous racontent. Ils sont venus voler vos terres. »