Un livre de Yuval Noah Harari, publié pour la première fois en hébreu en 2011; traduit en français en 2015. Ouvrage de 500 pages que j’ai abondamment annoté. Inutile d’en livrer des extraits comme pour les romans que j’ai lus; il y en aurait trop. Alors, faudra synthétiser sans trop dénaturer, j’espère, les propos de l’auteur. Et vous les présenter par grands chapitres. Je commence par le commencement comme les religieuses me l’ont enseigné à l’école.
Introduction
C’est l’histoire, comprends-tu, d’un animal insignifiant: l’Homo sapiens « homme sage ». Qui se pointe en Afrique orientale il y a 200 000 ans. Soit 13,5 milliards d’années après l’apparition de la matière, de l’énergie, du temps et de l’espace créés par le Big Bang; 13,2 milliards d’années après que la matière et l’énergie commencent à se fondre en structures complexes, appelées atomes et molécules; 3,8 milliards d’années après que certaines molécules s’associent sur Terre en structures particulièrement grandes et compliquées: les organismes; 6 millions d’années après qu’une femelle de la famille tapageuse des grands singes eut mis au monde deux filles: l’une qui est l’ancêtre des chimpanzés; l’autre qui est la grand-mère de tous les humains; 2,3 millions d’années après l’évolution du genre Homo en Afrique et leur migration vers l’Eurasie; 300 000 ans après l’implantation de Homo neanderthalensis en Europe et au Moyen-Orient. Une histoire donc, de l’âge de pierre à l’âge de Facebook; de la maîtrise du feu à la maîtrise du BBQ.
Première partie: La révolution cognitive
L’apparition de nouvelles façons de penser et de communiquer, entre 70 000 et 30 000 ans, constitue la Révolution cognitive. Le langage, d’une étonnante souplesse, nous permet d’associer un nombre limité de sons et de signes pour produire un nombre infini de phrases, chaque fois avec un sens distinct. Ainsi pouvons-nous assimiler, stocker et communiquer une prodigieuse quantité d’informations sur le monde qui nous entoure.
Grâce au langage, les Sapiens prennent l’ascendant sur les animaux. Un singe peut crier à ses congénères: « Attention, un lion! » et se réfugier dans un arbre. Un Homo sapiens, possédant alors une dextérité physique qui est aujourd’hui hors de notre portée, même après des années de yoga ou de tai-chi, dira plutôt à ses semblables: « Attention, il y a un lion, près du coude de la rivière, qui suit un troupeau de buffles. Sapiens 1 et Sapiens 2, faites fuir le lion, je m’occupe de traquer les buffles avec Sapiens 3 et Sapiens 4. Sapiens 5, cueille un bouquet de cerfeuil sauvage et apporte-le à ma femme. Dis-lui que c’est pour assaisonner le dîner que j’apporterai à la grotte dans pas long. »
Le langage et le fait qu’Homo sapiens ait vécu en bandes, de plus en plus grandes, où les individus collaboraient pour le mieux-être de la communauté, constitue la clé de notre survie et de notre reproduction. Cette coopération s’est raffermie par la croyance collective en des dieux, des religions, des nations et d’autres concepts « sortis tout droit de notre imagination » afin de régir le comportement de tous et d’assurer la stabilité du groupe. La croyance à ces mythes est ce qui distingue le plus les humains des animaux.
Ainsi Homo sapiens, cet animal insignifiant, domina-t-il la Terre. Et, de chasseur-cueilleur, se mit à la cultiver.
Deuxième partie: La révolution agricole
Pendant 2,5 millions d’années, les Sapiens se nourrissent de plantes qu’ils cueillent et d’animaux qu’ils chassent. Voici 10 000 ans, tout change. Ils se mettent à semer des graines : essentiellement du blé, des pois, des lentilles, du riz, du maïs, des pommes de terre, du millet, de l’orge, des oliviers, des vignes; et à élever des animaux: chèvres, moutons, vaches, chevaux, sangliers, cochons, poules.
De nos jours, 90 % de l’humanité se nourrit encore de la poignée de céréales que nos ancêtres sapiens choisirent de cultiver, des milliers d’années avant notre ère. Dans les étables et les basses-cours du monde entier se trouvent, désormais, près d’un milliard de moutons, un milliard de porcs et un milliard de bestiaux; plus de 25 milliards de poules. Le poulet domestique est la volaille la plus répandue de tous les temps; ma recette préférée étant le poulet général Tao.
Délaissant leur mode de vie nomade, les bandes humaines s’établissent dans des camps saisonniers, puis permanents. Regroupés près des terres cultivables. De l’aurore au crépuscule, ils triment dur, au prix de multiples souffrances. Les premiers tours de rein, les problèmes d’arthrite et les hernies discales remontent à cette époque.
La production accrue de nourriture favorise une croissance vertigineuse de la population. Qui passe, en quelques millénaires, de 8 millions à 250 millions d’individus au 1er siècle avant notre ère, en grande majorité des cultivateurs, plus des élites choyées. Des royaumes s’érigent : Akkad, les pharaons, l’empire assyrien, l’empire babylonien, l’empire perse, l’empire des Han en Chine, l’empire romain. À son zénith, Rome collecte des impôts auprès de 100 millions de sujets.
Prospérité alimentaire et ordre politique ne garantissent pas le bonheur pour tous. Les plus faibles, qui sont aussi les plus nombreux, subissent l’asservissement de ses dirigeants. Des humains à l’imagination fertile inventent alors des histoires de grands dieux, de mères patries, de liberté, de démocratie, de principes égalitaires, de droits inaliénables.
Les plus grandes luttes de l’histoire, qui ont fait sans doute plus de morts que tous les conflits armés, sont les guerres de principes: ma religion vaut mieux que la tienne; je suis un homme libre, tu es un esclave; je suis de la caste des brahmines, toi un sûdra; je suis de gauche, tu es de droite; je suis capitaliste, tu es communiste; je suis riche, tu es pauvre; j’ai une grosse job, tu es sur le BS; je suis un suprématiste blanc, tu es d’une autre couleur; je suis vacciné, tu es un danger public; je suis un homme, tu es une femme. Toutes ces hiérarchies ont régi les relations de milliards d’individus en rendant, les plus privilégiés d’entre eux, légalement, politiquement et socialement supérieurs aux autres.
Il y a 10 000 ans, les Sapiens estimaient que le bonheur personnel, ça se partage avec la collectivité, par exemple, devant un copieux steak de mammouth aux fines herbes, médium saignant. Puis ils ont renoncé à leur vie nomade pour cultiver la terre. Une révolution en soi. Or cet instinct de collaboration entre tous s’est effrité avec le temps. Il faudra le redéfinir pour forger une société meilleure.
Troisième partie: L’unification de l’humanité
Que rapporte l’histoire? Que les Sapiens se dirigent inéluctablement vers l’unité. Il y a 10 000 ans, la Terre compte plusieurs milliers de microsociétés. Culturellement distinctes mais en perpétuelle évolution. Deux mille ans avant notre ère, on n’en compte plus que quelques centaines.
En 1490, juste avant la découverte de l’Amérique, près de 90 % des hommes vivent dans un seul méga monde; les majeures parties de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique étant déjà rattachées par d’importants liens culturels, politiques et économiques. En 2021, l’Organisation des Nations unies (ONU) ne recense que 195 pays indépendants. Trois facteurs favorisent ce mouvement d’unification : l’ordre monétaire, l’ordre impérial et l’ordre religieux.
L’ORDRE MONÉTAIRE
La monnaie est le système de confiance mutuelle le plus universel et le plus efficace qui ait été imaginé par l’homme. Elle permet aux humains de comparer des choses très différentes – patates, souliers, divorces – ou selon Thérèse de La petite vie, ‑ patates, steak, blé d’Inde ‑, et d’en évaluer la valeur dans une perspective échangiste de biens et services. Elle franchit n’importe quel fossé culturel et ne fait aucune discrimination sur la base de la religion, du genre, de la race, de l’âge ou de l’orientation sexuelle.
Elle a favorisé l’apparition de réseaux commerciaux complexes et de marchés dynamiques. Elle permet de convertir, de stocker et de transporter aisément la richesse, et à bon compte. Grâce à la monnaie, des gens qui ne se connaissent pas, peuvent tout de même coopérer efficacement.
Dès l’Antiquité, la confiance dans les pièces romaines était si forte que, même hors des frontières de l’Empire, les gens acceptaient d’être payés en deniers. Comme aujourd’hui, alors que le monde entier ne forme qu’une seule zone monétaire, les peuples placent leur pleine confiance dans le dollar américain.
L’ORDRE IMPÉRIAL
Un empire est un ordre politique qui règne sur un nombre significatif de peuples distincts ayant chacun une identité culturelle différente et un territoire séparé. L’empire est la forme d’organisation politique la plus courante dans le monde au cours des 2500 dernières années. Et l’une des principales raisons de la forte réduction de la diversité humaine; en amalgamant maintes petites cultures en un petit nombre de grandes cultures.
Le cycle impérial va comme suit : un groupe humain crée un empire; une culture impériale se forge; les peuples assujettis adoptent cette culture dominante; puis, ils exigent une égalité de statut au nom des valeurs impériales communes; l’empire périclite; mais la culture impériale continue de fleurir et de se développer. Il en va ainsi de l’empire romain, de l’empire arabe et des empires européens coloniaux de la Renaissance.
À mesure qu’on avance dans le 21e siècle, le nationalisme perd du terrain. De plus en plus de peuples croient que la source légitime de l’autorité ne devrait plus venir des nationalités fortes mais de l’humanité tout entière, et que protéger les intérêts de toute l’espèce humaine est la lumière qui devrait guider la politique.
L’apparition de problèmes foncièrement mondiaux entame aussi ce qui reste de légitimité aux États-nations indépendants. Aucun État souverain ne résoudra seul les problèmes du réchauffement climatique, de la fonte de la calotte glaciaire et des cyberattaques. Dès lors, l’existence des 195 pays indépendants actuels est une entrave plutôt qu’une aide face à ces enjeux. Ne serait-il pas plus simple alors qu’un seul empire mondial veille sur la destinée de tous?
Dans la tradition chinoise, le Ciel (Tian) est la source de toute autorité légitime sur Terre. Le Ciel choisit la personne ou la famille la plus digne de régner sur « tout ce qui est sous le Ciel » pour le bien de l’humanité. Or, il se pourrait que le Mandat céleste « revu et corrigé » soit plutôt donné par l’humanité pour résoudre les problèmes du ciel: le trou dans la couche d’ozone et l’accumulation des gaz à effet de serre.
L’ORDRE RELIGIEUX
La religion peut se définir comme la reconnaissance par l’être humain d’un ordre divin ou d’une réalité supérieure, de qui dépend sa destinée, et tendant à se concrétiser sous la forme de principes, de dogmes, de croyances, de pratiques rituelles et morales.
Les premières religions sont polythéistes, délimitées et exclusives. Rê ou Râ est le dieu solaire des Égyptiens de l’Antiquité. Marduk était l’un des dieux révérés des Babyloniens. Brahma, des Indiens. Pangu, des Chinois. Tinia, des Étrusques. Zeus, des Grecs. Jupiter, des Romains. Odin, des Vikings. Huitzilopochtli, des Aztèques. Manitou, des Algonquins. Sedna, des Inuits.
Depuis 10 000 ans, des milliers de divinités ont été vénérées par les Sapiens. Or, au 1er millénaire avant notre ère, deux nouvelles religions monothéistes se répandent et les élimineront pratiquement toutes: le christianisme et l’islam. On compte aujourd’hui sur la planète 2 milliards de chrétiens et 1,250 milliard de musulmans.
Ces nouvelles religions transcendent les régimes politiques. Elles se veulent universelles: le même culte pour tous; et missionnaires: propager partout la parole divine, si besoin par la force.
Les Romains, polythéistes et plutôt tolérants sur le plan religieux, ne tuèrent pas plus de quelques milliers de chrétiens, y compris un certain Jésus de Nazareth, qui plus est, devant sa mère. Par comparaison, des chrétiens fanatisés, se croyant seuls investis de la totalité du message du Dieu unique, massacrèrent d’autres chrétiens par millions pour défendre des interprétations légèrement différentes d’une religion soi-disant d’amour et de compassion. Notamment durant les guerres opposant catholiques et protestants qui balayèrent l’Europe aux 16e et 17e siècle.
Aujourd’hui, hors de l’Est asiatique, la plupart des peuples adhèrent à une forme ou à une autre de religion monothéiste, et l’ordre politique mondial repose sur des fondations monothéistes. Même si, la parfaite harmonie entre chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes, confucianistes, taôistes, épicuriens, animistes ou athées, est loin d’être consacrée.
Quatrième partie: La Révolution scientifique
Résumons l’existence d’Homo sapiens ces 70 000 dernières années. En termes de vies humaines normalisées de 60 ans mises bout à bout. Il passe un peu plus de 1000 vies humaines consécutives dans les cavernes à dessiner sur les murs. Des animaux et des filles toutes nues. Puis il se met à l’écriture au cours des 90 vies humaines suivantes. Il invente l’imprimerie il y a 8 vies humaines, ce qui favorisera formidablement la transmission des savoirs d’une génération à l’autre et provoquera la Révolution scientifique.
Il y a 500 ans, la plupart des cultures humaines ne croyaient pas au progrès. Tout change au 16e siècle, à la Renaissance, et s’accélère au cours des deux dernières vies humaines: l’invention de la télé couleur (1926); du vaccin contre la tuberculose (1927); la première banque de sang (1937); la pénicilline (1942); l’intelligence artificielle (1950); la naissance de Denis Robichaud (1951), seulement neuf ans (fiou!) avant la pilule contraceptive (1960); le premier homme dans l’espace (1961); la première transplantation cardiaque (1967); le premier bébé-éprouvette (1978); l’invention d’Internet (1989); le premier film d’animation réalisé par ordinateur (1995); l’impression en trois dimensions (2011), laquelle permet de fabriquer des implants sur mesure, notamment des crânes et des prothèses dentaires.
Au 16e siècle, Magellan met trois ans et demi à faire le tour de la Terre. De nos jours, tout membre de la classe moyenne ne craignant pas de prendre l’avion peut faire la même chose en 48 heures. Ces progrès spectaculaires relèvent de la science, grâce aux ressources investies dans l’éducation et la recherche. Sous l’égide, toutefois, des maîtres de l’impérialisme et du capitalisme européens qui en assurent le financement. Qui créent des colonies et un réseau commercial mondial. Qui relient les peuples et les cultures de la Terre. Qui modèlent leur habillement, leurs pensées, leurs goûts.
Faire de l’argent, but ultime du crédo capitaliste, mène à la croissance. Laquelle inspire la confiance dans l’avenir. Qui, pour augmenter la richesse collective, se construit sur le crédit. Le crédit, selon les adeptes de la croissance économique perpétuelle, c’est la différence entre le gâteau d’aujourd’hui et celui de demain. Toutefois, en raison de la cupidité capitaliste, même si le gâteau à partager est toujours plus grand, beaucoup d’Homo sapiens du 21e siècle rentrent chez eux, après une dure journée de labeur, avec moins à manger que ceux du 16e siècle. Et avec plus de dettes!
Homo Sapiens 2021, celui de la dernière vie humaine, est-il meilleur que celui de l’Âge de pierre? La science lui garantit presque de s’élever au rang de dieu. Un self-made dieu. En le soustrayant à un régime de sélection naturelle vieux de 4 milliards d’années. Par des altérations de grande ampleur à sa physiologie, à son système immunitaire, à son espérance de vie visant l’immortalité, à ses facultés intellectuelles et émotionnelles. En pouvant recréer un cerveau humain complet par ordinateur. En faxant son ADN à des employeurs potentiels plutôt que son CV. En clonant des soldats intrépides et des ouvriers dociles, prélude à des bio-dictatures. Le sentiment dominant étant que trop d’occasions s’ouvrent trop rapidement et que notre capacité de modifier les gènes est en avance sur notre capacité d’en faire un usage sage et clairvoyant.
Homo Sapiens 2021 est-il plus heureux que le chasseur-cueilleur d’il y a 70 000 ans? Il a connu ou garde en mémoire bien des bouleversements : l’esclavage, le racisme, la mécanisation des plantes, des bêtes et des hommes; mais aussi la chute sensible de la violence, la quasi-disparition des guerres internationales, la quasi-élimination des grandes famines; l’adaptation continue à la vie moderne, l’urbanisation galopante, la disparition de la paysannerie, l’essor du prolétariat, l’acquisition de droits de l’homme, la démocratisation, la culture de la jeunesse, l’effondrement de la famille et de la communauté locale, remplacés par l’État et le marché, la surconsommation, la recherche de son identité propre. Ainsi est-il probable qu’un végétarien du Québec tombe amoureux sur Facebook d’une végétarienne qui vit en Australie plutôt que de sa voisine de bureau, une jolie mangeuse de viande.
Les nationalistes croient que le droit à l’autodétermination est la clé de notre bonheur. Les communistes postulent que tout le monde nagerait dans la félicité sous la dictature du prolétariat. Les capitalistes assurent que seul le marché peut assurer le plus grand bonheur du plus grand nombre en garantissant la croissance économique et l’abondance matérielle, en apprenant aux gens à compter sur eux-mêmes et à se montrer entreprenants.
Les facteurs sociaux, familiaux, éthiques et spirituels n’ont pas moins d’effet sur notre bonheur que les conditions politiques et économiques. Être heureux peut s’avérer alors une disposition au contentement et trouver un sens qui vous habite toute votre vie. Ou prendre la forme d’un sentiment fugace et subjectif dont il faut user sans modération. Comme parler, crier, chanter. Boire, manger, roter. Rire, baiser, prier. Danser, sauter, courir. S’effoirer, dormir, rêver. Offrir des chocolats, son aide, un rein. Semer une graine d’arbre ou d’enfant. Et réveiller le chasseur-cueilleur en nous, cet endroit le moins fréquenté de la Terre, en continuant de dessiner des animaux et des filles toutes nues sur les murs. Pour la postérité.