Avis aux locuteurs du français standard : Au Québec, « femme plate » signifie « femme ennuyeuse ». Autopsie d’une femme plate est un roman de Marie-Renée Lavoie publié en 2017. La version que j’ai lue est celle qui a été rééditée en 2020.
C’est l’histoire, comprends-tu, de Diane Delaunais, quarante-huit ans, que son mari largue pour une femme plus jeune, la veille de leur 25e anniversaire de mariage. Une histoire banale? Pas quand elle est racontée par Marie-Renée Lavoie. Avec sa vivacité d’esprit, son sens de l’observation, son humour et son aptitude à traduire en mots les émotions. Ainsi les 21 chapitres débutent tous par « Où » : « Où je coule doucement », « Où je radote des affaires banales », « Où j’essaie de courir », « Où je me vois dans le miroir », « Où je tricote, marche, danse. » En voici des petits bouts.
(Quand son mari, Jacques, lui annonce qu’il aime une autre femme)
« Ça m’a paru tellement insensé que j’ai jeté un œil à la télé en souhaitant que les mots viennent d’ailleurs. »
(Quand elle se rappelle que le mari de son amie Claudine l’a lui aussi plaquée pour une étudiante brillante qui a lu toute l’œuvre du philosophe allemand Martin Heidegger)
« Claudine s’en contre-torche tellement, d’Heidegger, qu’elle a mis la main sur une collection de ses ouvrages pour allumer ses feux de foyer et tapisser le fond de la litière de ses chats. »
(Le lendemain de la rupture)
« Le soleil s’est levé du même côté que les autres jours. Ça m’a étonnée. La fin du monde semblait ne pas avoir d’emprise sur le mouvement des astres. »
« Je suis entrée tout habillée dans la douche. (…) Sur la céramique s’entremêlaient le surplus de teinture de mon tailleur neuf, mon urine, mon mascara, ma salive, mes larmes. La vraie saleté ne partait pas. »
« J’ai pris un congé coûteux comme une réception de 25e anniversaire de mariage et j’ai tout laissé en plan le temps de ressusciter. »
(Premier rendez-vous avec une psychologue recommandée par Claudine. Diane met du temps à parler)
« Si le silence ne m’avait pas coûté si cher, je l’aurais laissé filer. »
« Je n’avais pas le choix de hacher la phrase en morceaux pour la faire passer. »
(Comme elle se met à beaucoup pleurer, la gentille psy lui tend des mouchoirs parfumés de lotion)
« Je suis sortie de là défigurée, le dessous du nez bien hydraté. »
(Diane se rappelant sa première rencontre avec Jacques)
« Danser était fabuleusement simple; il suffisait de joindre les pieds et de les tenir collés au sol pour induire au corps un mouvement d’algue marine bercée par le courant, les yeux fermés. »
« Nous avons passé notre première soirée en embrassades enflammées, comme tous les foudroyés de l’amour, à boire notre air dans la bouche de l’autre. »
(Claudine la convainc de flirter avec Jean-Paul, beau bonhomme, qui travaille au Service des finances, un étage plus haut que le sien. Diane multiplie les allées et venues)
« Je prenais les escaliers pour descendre, l’ascenseur pour monter – je ne tenais pas à tout gâcher en suant – , prétextant un changement de rythme de vie pour expliquer la multiplication de mes marches santé pendant les pauses et l’heure du dîner. »
(Mais JP est marié et heureux en ménage. Il veut offrir les mêmes bottes que porte Diane à sa femme. Chaste baiser de JP pour la remercier)
« Je n’ai pas pu profiter de la bise qu’il m’a faite concentrée à retenir mon souffle chargé de molécules de cretons. »
(Désabusée, discutant de sa séance de frenchage avec JP).
« Je suis entrée dans le bureau de Claudine et me suis affalée dans la chaise des plaintes. C’est la chaise la plus usée de tout l’édifice. »
(Nouvelle rencontre avec sa psy que Diane prend en pitié)
« Pauvre toi, tu dois toujours entendre les mêmes histoires.
Tes plaies à toi sont neuves. Si tu t’étais cassé le bras, ça te ferait pas moins mal parce que des millions de gens se sont cassé un bras avant toi. »
(Sa fille Charlotte arrive chez elle pour la réconforter. Diane se rend compte que leurs rôles sont inversés, qu’entre les deux, c’est elle la plus vulnérable)
« Je voulais être une femme forte pour mes enfants, je voulais qu’y débarquent chez nous pour venir chercher conseil, pour se faire consoler, pour se reposer dans les bouts durs de leur vie, ou pour avoir de la sauce à spaghetti… »
(À la mort du père de Claudine, après la cérémonie au salon funéraire)
« Mesdames, messieurs, les sandwichs sont servis dans la petite salle du fond. La foule s’est rapidement massée vers la porte du fond en se mouvant comme un banc de poissons. »
(Petite marche solitaire dans son quartier)
« Je ne sais pas comment marcher dans les rues sans poussette et sans but précis. Il y a quelque chose que je ne maîtrise désormais plus dans la marche récréative. Ce n’est pas simple d’aller nulle part. »
(Déjeuner-rencontre ennuyant au bureau)
« Pendant ces happenings trimensuels – si douloureux qu’on disait plutôt trimenstruels -, je me distrayais des phrases creuses des patrons aux poches pleines en me bourrant de viennoiseries. »
(Diane camoufle les trous dans les murs qu’elle a défoncés après le départ de son ex en déplaçant quelques meubles car elle reçoit ses enfants)
« Mon fils (Antoine) avait trouvé chaussure à son pied en cette fille (Malika) qui, tout comme lui, vivait apparemment dans une dimension où le temps s’écoulait en accéléré; ils manquaient toujours désespérément de temps pour tout faire, même s’ils n’avaient encore ni enfant, ni animal, ni plante. »
« Pour combler l’absence de Jacques à la table, ce soir-là, j’avais remplacé son couvert par le pain, le beurrier, les fleurs, les bouteilles de vin, le pichet d’eau. »
(Charlotte tente de lui faire adopter un chat à trois pattes)
« Je ne suis pas allergique aux chats, ni aux chiens, ni à rien d’ailleurs – j’ai une légère intolérance aux souffleuses. »
(Perdue en auto dans la campagne profonde, elle demande son chemin à Adélard, un nonagénaire qui lui offre de la soupe)
« Il se tenait pourtant là, tranquillement, comme n’importe quel homme, buvant sa soupe à même le bol, poussant avec ses doigts sur les légumes échoués au bord de ses lèvres pour qu’ils passent dans sa bouche. Je l’ai imité. »
« Il a sorti de sa manche un mouchoir en tissu avec lequel il s’est d’abord essuyé la bouche, les yeux, puis mouché. » (Là, elle ne l’imite pas)
(Appel de Claudine qui lui apprend que la nouvelle blonde de son ex est enceinte)
« Dans un réflexe insensé, j’ai regardé derrière moi pour évaluer les possibilités de revenir en arrière, de rembobiner les dernières minutes et de réintégrer le cocon douillet d’Adélard, suspendu dans le temps et l’espace. »
(Elle tente d’en rire)
« On peut allaiter avec de faux seins? »
(De retour devant chez elle, dans son auto, Diane essaie de se remettre de ses émotions)
« Mon visage était couvert de larmes, de morve, de bave, de tout ce que les orifices sécrètent en état d’urgence. »
(Un gars de la construction qu’elle connaît la voit et s’approche pour l’aider)
« Des kleenex, s’il vous plaît! Pas d’ambulance! Juste des kleenex. »
« Avant même d’avoir eu le temps d’ajouter quoi que ce soit, son bras de béton s’était glissé sous mes jambes pour me soulever. Heureusement, je ne m’étais pas pissé dessus. Le jour de mon anéantissement total, je suis entrée chez moi comme une jeune mariée. »
« Enfouis dans ses bras majestueux, mes malheurs se sont faits tout petits. »
(Elle reprend ses esprits et se refait une beauté en changeant de tête)
« Ma coiffeuse fait dehors ce que ma psy fait dedans : elle m’aide à me trouver belle. »
Diane s’en sortira. Elle vend son bungalow plein de trous dans les murs et s’achète un duplex qu’elle partagera avec son amie Claudine. « Le temps de ressusciter. »
Le roman de Marie-Renée Lavoie se savoure à petites doses. Chaque fois qu’elle dissèque en petites tranches les contrecoups de la séparation de son héroïne pas du tout plate. Autopsie qui se révèle un antidote à la déprime teintée d’amertume ou à l’autoflagellation que les femmes, même les hommes, peuvent vivre après une rupture.