« On a grimpé vers la forêt, en montant, en montant toujours. Et on a découvert le spot organisé pour les voyageurs. Cap Bon Ami. Les deux bécosses aux portes arrachées, les murs remplis de noms gravés, d’insultes, de dates et d’adresses! Albert s’est jeté dans une des deux bécosses en arrivant, comme de bien entendu. » (Claude Jasmin, Pleure pas Germaine, 1965).
Occupée par les forces britanniques en 1760, cédée par la mère patrie en 1763, la Nouvelle-France, devenue le Canada, puis le Québec, compte alors environ 70 000 âmes. Âmes françaises dont les Filles du Roy porteront les trâlées d’enfants sans défaillir les générations suivantes mais dont les descendants sont exposés depuis 261 ans à l’influence anglaise, soit plus longtemps qu’a duré le régime français. Normal, dans les circonstances, que le français québécois ait emprunté à nos conquérants quelques mots au passage. Lesquels apparaissent parfois, avec un certain décalage, dans les dictionnaires de français standard.
Ainsi bécosse fait son entrée dans l’édition 2025 du dictionnaire Le Petit Robert. Il s’agit d’un québécisme déformant l’anglais back house, qui désigne un cabinet d’aisances, synonyme de chiottes, situé à l’extérieur, en retrait de la maison et qu’on installe encore en forêt ou à la campagne. Par ironie, boss des bécosses qualifie une personne qui fait preuve d’une autorité prétentieuse.
Employé aussi au pluriel, le mot bobettes désigne familièrement des sous-vêtements masculins ou féminins, des slips, un mot anglais accepté en français standard, des caleçons, des petites culottes. Il viendrait de l’anglais bob/bobby qui décrit des choses courtes, auquel le français québécois a accolé le diminutif -ette. Au Québec, refill, de l’anglais refilled « rempli », est une dose supplémentaire de café que l’on ressert gratuitement dans les restaurants.
French est utilisé par les Anglo-Saxons dans diverses expressions ayant rapport à la nourriture : french toasts, beurrées d’un seul côté depuis le 17e siècle, french fries « frites »; ou à la sexualité : french disease, « syphilis », french letter, « préservatif ». Le français québécois forme le verbe frencher, « embrasser avec la langue », raccourci de l’anglais to french kiss. Et en adopte plusieurs autres, traductions littérales ou adaptations sémantiques : boîte à malle « boîte à lettres » de l’anglais mailbox; chum « copain, camarade » en anglais, aussi « ami de cœur, amant » en français québécois; gazer, « mettre de l’essence », de l’anglais to gas up; botcher et to botch veulent dire « bâcler un travail »; bitcher, de to bitch « râler », signifie « se plaindre » et « attaquer verbalement quelqu’un en portant atteinte à sa réputation » en français québécois. Cheap « bon marché, radin » de cheap et flabergasté « abasourdi » de flabergasted, revêtent des sens analogues.
Les anglicismes ne sont pas tous des mots à proscrire. Surtout pas lorsqu’ils sont utilisés et prononcés à la française en Amérique du Nord, terre anglaise depuis quatre siècles. Preuve que le français pratiqué par les Québécois reflète à la fois leur ouverture sur le monde et un profond attachement à leurs racines.
Devoir
Parmi les dix expressions québécoises suivantes, trois sont empruntées directement à la langue anglaise. Lesquelles?
Expressions québécoises | Sens |
Attendre que le curé se mouche. | Prendre son temps. |
Avoir de la broue dans le toupet. | Être fébrile, surexcité. |
Avoir de la mine dans le crayon. | Avoir une libido active. |
Avoir du front tout le tour de la tête. | Avoir de l’aplomb, de l’audace. |
Avoir un pain au four. | Être enceinte. |
Baiser le cul du diable quand il est frette. | Agir au moment opportun. |
Courir la galipote. | Rechercher les aventures galantes. |
Parler à travers son chapeau. | Parler à tort et à travers. |
Passer la nuit sur la corde à linge. | Passer la nuit éveillé. |
Tomber en amour. | Devenir amoureux. |
Réponse
Avoir un pain au four, « être enceinte. », calque de l’expression anglaise to have a bun in the oven.
Parler à travers son chapeau, « parler à tort et à travers », traduction littérale de l’expression anglaise to talk through one’s hat.
Tomber en amour, « devenir amoureux », de l’anglais to fall in love (with somebody), expression attestée en français depuis le 17e siècle.