De l’écrivain algérien Yasmina Khadra, son nom de plume; de son vrai nom, Mohammed Moulessehoul. Roman publié chez Julliard en 2008. Qu’un collègue et ami, Nassim, m’a recommandé de lire; après m’avoir raconté dans les grandes lignes, le regard tourmenté ‑ c’est un grand romantique ‑ le film qu’il a vu, tiré du livre, sans doute avec sa jolie fiancée blottie contre son épaule, plongeant tous les deux la main, amoureusement, dans le même sac de pop-corn.
C’est l’histoire, comprends-tu, de Younes, un bel Algérien de 10 ans aux yeux bleus. Qui pognera plus tard auprès des filles. Mais, pour l’instant, sa vie est un gâchis. Son père perd sa terre. La famille, ruinée, se réfugie à Oran, lieu de naissance de Nassim et deuxième plus grande ville d’Algérie, m’a-t-il appris. Le père travaille dur mais n’arrive pas à joindre les deux bouts. Il confie Younes à son frère pharmacien marié à une Française, puis disparaît. Plus tard, Younes perdra aussi de vue sa mère et sa sœur. En voici des petits bouts que j’ai regroupés en quatre chapitres.
Chapitre 1
Ça va mal
(Après l’incendie criminel de leur récolte, toute la famille quitte leur lopin de terre pour Oran)
« La piste filait devant nous, décharnée, lugubre. Elle ressemblait à notre dérive. »
« Le soleil se répandait à l’horizon, tel un œuf brisé. »
(Arrivée à Oran dans les beaux quartiers)
« Et les voitures! … J’en avais compté une bonne dizaine. Elles surgissaient de n’importe où, pétaradantes, aussi vives que les étoiles filantes, et disparaissaient au coin des rues avant qu’on ait formulé un vœu. »
(Mais leur destination est un faubourg nommé Jenane Jato)
« Jenane Jato: un foutoir de broussailles et de taudis grouillant de charrettes geignardes, de mendiants, de crieurs, d’âniers aux prises avec leurs bêtes, de porteurs d’eau, de charlatans et de mioches déguenillés; un maquis ocre et torride, saturé de poussière et d’empuantissement, greffé aux remparts de la ville comme une tumeur maligne. »
(Leur logis)
« Nue et sans fenêtre, la pièce était à peine plus large qu’une tombe. »
(Un voisin)
« Jambe-de-bois avait subitement perdu l’usage de la parole; sa bouche clapotait dans le vide comme la gueule d’un poisson hors de l’eau. »
(Younes écoutant l’histoire d’un goual, comédien ambulant)
« C’était par eux que j’avais appris que l’eau de la mer avait été douce avant que les veuves des marins n’y déversent leurs larmes. »
Chapitre 2
Ça va bien (d’accord, je ne suis pas doué pour nommer les titres de chapitres)
(Dans la belle propriété de son oncle à qui Younes a été confié, par une journée de grand vent)
« Le vent sifflait contre les grilles tandis que les arbres s’arrachaient les cheveux sous les rafales. »
(À l’école où il côtoie de jeunes roumis, les Français vivant en Algérie, les futurs pieds-noirs)
« Légèrement enrobée, elle (son enseignante) portait le même tablier terne et, quand elle passait au milieu des rangées, son parfum la suivait comme une ombre. »
(Chez la tante de Lucette, une amie d’école)
« C’était un matin d’octobre et un soleil grand comme une citrouille ornait le ciel. L’automne dépouillait les arbres de leurs derniers haillons. »
(Sur la plage avec ses trois meilleurs amis français: Jean-Christophe, Fabrice et Simon)
« La mer était si plate qu’on aurait marché dessus… pas un frisson ne ridait la surface de l’eau. »
« Les vacanciers sautillaient comme des sauterelles sur le sable brûlant avant de courir se jeter à l’eau. »
(Devenu un adolescent au physique avantageux, il se fait cruiser par Mme Cazenave, une belle femme de quarante ans)
« Arrivée sur le palier, elle passa dans la lumière éblouissante d’une lucarne; ce fut comme si sa robe s’était désintégrée, me livrant jusqu’aux moindres détails la parfaite configuration de sa silhouette. »
« Ses doigts se répandirent sur mon visage… Ses yeux m’enveloppèrent… nos visages fusionnaient déjà. »
« J’avais le vague sentiment que l’on m’effeuillait… que l’on me renversait sur un lit aussi profond qu’une rivière. »
Chapitre 3
Ça va mal
Younes rencontre Émilie, une belle Française de son âge qui tombe amoureuse de lui, mais il s’empêche de l’aimer parce qu’Émilie est la fille de Mme Cazenave avec qui il a couché.
(Déclaration d’amour d’Émilie à Younes)
« Je vous aime toutes les fois que je respire. »
Digression
D’accord, l’expression « Je vous aime toutes les fois que je respire » est plaisante mais un autre collègue agent de sécurité, Samuel, un soir, en formula une plus jolie encore. J’en fus témoin alors qu’on cogna à la porte de notre bureau commun. Lorsque Samuel ouvrit la porte et qu’une belle jeune femme apparut, il lui déclara: « Je savais que c’était toi, mon cœur s’était mis à battre plus vite. » (fin de la digression)
(Younes, amoureux pantois)
« … elle (Émilie) était en face de moi et me cachait le reste du monde. »
« Jamais je ne n’avais senti solitude plus profonde qu’à l’instant où elle a rejoint la rumeur de la rue. » (Ça t’apprendra, mon gars, à coucher avec la mère avant la fille)
(Saoul de chagrin au mariage d’Émilie avec Simon, son meilleur ami, sur qui Émilie s’est rabattu)
« La pluie tombait doucement. Les carreaux étaient en larmes. »
(Puis la guerre d’indépendance éclate et perdure)
« L’hiver 1960 fut si rude que nos prières gelaient; on les aurait entendues tomber du ciel et se fracasser au sol tels des glaçons. »
« L’Algérie algérienne naissait au forceps dans une crue de larmes et de sang. »
(À Oran, Younes recherche Émilie, devenue veuve après le meurtre de Simon)
« J’étais comme fou. Ne voyais ni les flaques de sang sur les trottoirs, ni les traces de balles sur les murs. »
(Au port d’Oran, il en vient à espérer qu’elle ait quitté l’Algérie avant d’être tuée comme Simon et beaucoup de Français)
« Des paquebots attendaient de lever l’ancre, vacillant sous le chagrin des expatriés. »
« … je restai penché sur le port jusque tard dans la nuit, jusqu’au lever du jour, incapable de me résoudre à l’idée que ce qui n’avait pas vraiment commencé était bel et bien fini. »
Chapitre 4
Ça va mieux
Rendu vieux, Younes traverse la Méditerranée et se rend à Aix-en-Provence se recueillir sur la tombe d’Émilie. Il y retrouve Jean-Christophe et Fabrice, ses deux amis encore vivants. Issus, eux et lui, de deux communautés, française et algérienne, amoureuses du même pays. Restés soudés, malgré les dislocations de la guerre, depuis l’enfance dont ils ne sont jamais vraiment sortis: « Vieux, moi? Qu’est-ce qu’un vieillard sinon un enfant qui a pris de l’âge ou du ventre? »
Yasmina Khadra a-t-il trouvé la formule qui épargnerait l’âge adulte du naufrage des consciences? Retrouver l’enfant en nous.