Il pleut sur Val-d’Or

À Val-d’Or en Abitibi, début des années 60, j’avais dix ans. Mes sœurs, mes cousins, mes cousines et moi étions souvent ensemble car nos parents et grands-parents organisaient de fréquentes rencontres familiales, chez l’un et chez l’autre. Nous nous amusions beaucoup. Nous écoutions les adultes parler de la pluie et du beau temps. Mais aussi de sujets plus sérieux. Puis, nous émettions nos propres opinions sur les grandes et les petites affaires de la vie.

Ainsi, pour nous, les enfants, l’aéroport de Val-d’Or était, croyait-on, une base militaire américaine avancée pour lutter contre les communistes russes. Les avions qui volaient au-dessus de nos têtes étaient des jets de combat, les Voodos. Dans leur soute, ils transportaient des bombes atomiques qu’ils auraient pu larguer sur les bleuets et les framboises que l’on cueillait. Cet été-là, il avait plu presque tous les jours. C’est parce que, selon nous, les Américains testaient une sorte de torpille qui perçait les nuages et faisait pleuvoir là où ils voulaient.

Soixante ans après avoir quitté l’enfance et ma ville natale, voilà que j’apprends, à la télé, qu’il existe réellement une technique pour provoquer la pluie. Inventée en 1946 par des Américains pour lutter contre la sécheresse qui sévissait alors dans la région de New York. Et que des expériences de production artificielle de pluie ont vraiment eu lieu en Abitibi dans les années 60.

Je vous explique comment ça marche. Les nuages sont constitués de gouttes d’eau. Qui mettent généralement beaucoup de temps à se former et à tomber. Et qui ne se déversent pas toujours quand et là où on en aurait besoin. Leur « ensemencement » consiste à modifier leur structure de façon à accroître les possibilités de précipitation. Une sorte de rupture des eaux et d’accouchement provoqué. Il s’agit de relâcher de minuscules particules semblables à des cristaux de glace dans les nuages, habituellement des particules d’iodure d’argent. Lesquelles servent de noyaux de condensation accélérés des molécules, puis des gouttelettes de vapeur d’eau qui, en s’agglomérant plus rapidement, produisent des gouttes suffisamment grosses pour tomber sous forme de pluie. Le déversement des particules peut se faire par en bas, à l’aide de vaporisateurs, genre canons à neige très puissants; ou par en haut, par des avions survolant les nuages.

Depuis les années 50, les applications de l’ensemencement des nuages se sont multipliées partout sur la planète. Les stations de ski s’en servent pour accroître les précipitations de neige. Les centrales hydroélectriques, pour disposer de plus d’eau pour produire de l’électricité. Les aéroports pour que la pluie dissipe le brouillard et améliore la visibilité à proximité des pistes d’atterrissage. Pour réguler l’agriculture. Pour combattre les feux de forêt, la sécheresse et la désertification. Pour lutter contre les dégâts causés par la grêle en réduisant la taille des grêlons. L’armée américaine l’a même utilisé durant la guerre du Vietnam pour prolonger la mousson et inonder les routes empruntées par l’ennemi.

L’ensemencement des nuages est efficace. Il accroît la quantité de précipitations jusqu’à 20 %. Mais tous les risques de détérioration de l’environnement n’ont pas été analysés. Quel est le degré de toxicité de l’iodure d’argent? Ou de ses substituts? L’augmentation des précipitations de pluie dans une région risque-t-elle d’en assécher une autre? Deux pays voisins se disputant la pluie apportée par les nuages pourraient-ils se déclarer la guerre? L’ensemencement des nuages peut-il provoquer des inondations? Des crues subites? Des glissements de terrains?

L’ensemencement des nuages ne transforme pas, du moins pas encore, les cumulus, éclatants nuages de beau temps, en cumulonimbus, porteurs d’averses et d’orages. Mais, qui sait, les générations prochaines d’enfants abitibiens et les autres pourraient, un jour, se jouer des systèmes météorologiques très complexes dont il est encore impossible de prévoir exactement les conséquences.

Profiter du soleil le matin en se réveillant. Du beau temps par la suite. De la pluie en soirée, deux fois par semaine, pour revigorer la nature. D’un beau gros orage de temps en temps mais qui ne déracine pas les arbres centenaires. D’une brume vaporeuse s’enfonçant, puis se dissipant dans la nuit. Tout ça la même journée.

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