Intérieur nuit

Marisha Pessl écrit des briques. Son premier roman, La physique des catastrophes, publié en 2007, comportait 822 pages. Intérieur nuit, publié en 2015 chez Gallimard, mon cadeau de Noël de l’année dernière, en contient 849.

C’est l’histoire, comprends-tu, de Scott McGrath, journaliste d’investigation, qui veut faire la lumière sur le présumé suicide d’Ashley Cordova dans le Chinatown de New York. Ashley est la fille de Stanislas Cordova, légendaire réalisateur de films d’horreur. Un être réputé maléfique avec qui Scott a eu des démêlés dans le passé en cherchant à le prouver. À l’issue d’un procès qui a brisé son ménage et ruiné sa carrière. Tout le monde ment dans ce roman dans lequel Scott cherche la vérité. Avec deux collaborateurs, Nora et Hopper, qui la trouveront avant lui.

En voici de jolis passages:

(Scott, quand il apprend le suicide d’Ashley Cordova)
« Mon histoire avec Cordova commença pour la deuxième fois par une soirée pluvieuse d’octobre, à l’époque ou, comme beaucoup d’autres, je courais en rond et me dépêchais d’aller nulle part. »

(À une soirée en compagnie d’ex-collègues)
« Scott McGrath! Ça me fait plaisir de te voir! Tu travailles sur un truc sympa en ce moment? »
« Mes abdos. »

(Après qu’il eut tout perdu, sa femme, sa job, sa réputation)
« Je crus que les choses s’arrangeraient un peu le jour où je me retrouvai au lit avec une jolie serveuse nommée Maisie – jusqu’à ce que l’idée me vienne qu’elle pouvait fort bien être ma cousine éloignée. »

(Début de sa nouvelle enquête sur les Cordova à l’hôtel Four Seasons. Il y rencontre Nora, préposée au vestiaire, qui est l’une des dernières personnes à avoir vu Ashley vivante)
« Dès que des clients se présentaient – des touristes du Midwest, des types de la finance, un couple tellement vieux qu’on aurait cru qu’il marchait en faisant du tai-chi. »

(Dans le cagibi de Nora, examinant une photo clouée sur le mur)
« Je fis un pas en avant pour regarder de plus près et m’aperçus que l’homme, en réalité, était le Christ, tel qu’il figurait dans les livres de catéchisme : la peau laiteuse, la robe de chambre amidonnée bleue, la barbe aussi méticuleusement taillée qu’un bonsaï. Il faisait ce qu’il fait toujours : il couvait dans ses mains une lumière aveuglante, comme s’il essayait de se réchauffer après une longue journée de ski. »

(Nora accepte de déménager chez Scott à certaines conditions, notamment celle d’amener sa perruche avec elle)
« Je ne coucherai pas avec toi ni rien de ce genre. Elle dit cela comme elle m’aurait annoncé une allergie alimentaire. »
« Il (la perruche) n’allait pas faire de vieux os. Il semblait avoir la cataracte et tremblait un peu comme une brosse électrique. »

(Sur le lieu du présumé suicide)
« Silence. Aucun autre bruit que le bourdonnement d’insecte des ampoules. »

(Interrogeant la logeuse qui a hébergé Ashley un temps)
« Elle devait avoir autour de cinquante ans, la peau tachée et quelques dents en moins, ce qui la faisait ressembler à une statue qui s’effrite. »

(Hopper, l’autre compagnon de Scott, qui cherche lui aussi la vérité car il a connu Ashley dans un camp de redressement pour ados où ils se trouvaient tous les deux)
« Elle m’a raconté que la lumière mettait huit minutes pour quitter le soleil et arriver jusqu’à nous. On ne pouvait s’empêcher d’aimer cette lumière qui venait d’aussi loin et traversait les espaces les plus perdus pour arriver ici, atterrir à une telle distance. »

(Avec Marlowe, actrice et deuxième femme de Cordova, devenue alcoolique)
« À peine l’avais-je déposée sur son lit… qu’elle s’enfouit sous ses draps, comme un insecte qui se cache dans le sable. »

(Nora qui avoue son amour à Scott; ben oui, elle a changé d’idée)
« Je t’aime. Et pas comme ami ou comme patron. Le véritable amour. Je le sais depuis vingt-quatre heures. »
« Dit comme ça, ça ressemble à un mal de ventre qui va passer. »

(Scott se rend à Puerto Montt, là où Cordova, le père d’Ashley, s’est réfugié avec son fils)
« C’était la dernière ville sur la terre ferme avant que le Chili ne s’émiette en plusieurs centaines d’îles, comme un biscuit. »

(Visant un rocher noir massif près de la maison)
« Le rocher comportait un curieux trou en son centre, comme si Dieu y avait planté son pouce, créant un vide malicieux dans le monde. »

L’histoire aboutit à une impasse comme cette maison se trouvant aux confins du monde. Certes, Scott rattrape Cordova, absent de toute vie publique depuis trente ans, mais il n’est pas l’incarnation du mal et n’a rien avoir avec la mort de sa fille. Celle-ci s’est suicidée parce qu’un cancer la rongeait et qu’elle ne pouvait plus le supporter. Un récit interminable donc, un faux suspens rempli, en sus, de divers documents, photographies, coupures de journaux et pages web que j’ai décortiqués comme les morceaux d’un casse-tête mais qui ne servent en rien à dénouer l’intrigue. Morale de l’histoire, 849 pages plus tard: méfiez-vous de ceux qui ne renoncent jamais à leurs certitudes et qui poursuivent de façon obsessionnelle un but qui leur échappera toujours.

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