Les cretons

La dame était mince. Ses cheveux tout blancs. Plus de soixante-dix ans. Coiffée et habillée avec soin. Je m’étais placé derrière elle à la caisse car elle avait peu de produits dans son chariot d’épicerie. Une caisse de 24 de Coors Light y prenait presque toute la place.

 

J’ai pensé sans malice: « Tiens, une émule de La Poune, qui boit une petite broue chaque jour pour se maintenir en santé et rester svelte », immortalisant sa recette dans une chanson de son album de Noël:

Prendre un verre de bière, mon minou

Prendre un verre de bière, right through.

 

La dame a choisi de faire livrer la caisse de bières et ses quelques achats sauf les cretons. J’ai éliminé très vite quelques scénarios peu plausibles: le besoin d’une collation pour la route jusque chez elle; la peur inexplicable qu’on ne lui déleste ses cretons, précieux à ses yeux; une allergie rare qui l’oblige à se gaver de cretons aux demi-heures. Puis je me suis souvenu de tous ses matins où ma mère nous servait, à mon père, mes sœurs et moi, des cretons pour déjeuner. Et je me suis dit que la dame avait acheté et gardé avec elle ses cretons sur son cœur, par nostalgie.

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