Summer mélodie

Lecture d’été. Mais roman que j’ai lu cet hiver. L’auteur, David Nicholls, écrit des histoires simples. Dans ce cas-ci, celle de deux ados, Charlie Lewis et Fran Fischer, 16 ans, qui se rencontrent, qui se plaisent, qui s’aiment. Le temps que ça durera. Quelques mois. L’été 1997. En voici des extraits.

(Charlie)
« En tant qu’élève, mon trait distinctif était mon absence de traits distinctifs. »
« Certes, je n’étais pas dépourvu d’esprit, et il m’arrivait de susciter des rires étonnés, mais mes meilleures blagues étaient soit étouffées par une voix plus forte que la mienne, soit lâchées trop tard, si bien qu’aujourd’hui encore, plus de vingt ans après, je pense à des choses que j’aurais dû dire en 1996 ou 1997. »
« [mon père] m’avait transmis cette tendance à voûter le dos afin d’occuper le moins d’espace possible. »

(Pensée profonde sur les slows partagée par les ados de toutes les générations)
« Les slows étaient une occasion de se coucher les uns sur les autres tout en restant debout. »

(Ses expériences amoureuses)
« En dehors de mes grand-mères, j’avais embrassé ou été embrassé sur la bouche deux fois par le passé, encore qu’il serait peut-être plus juste de parler de collisions faciales. »

(Première rencontre avec Fran qui s’enfarge sur lui pendant qu’il lit dans la forêt et qu’elle se tord un peu la cheville)
« Je suis allé récupérer mon livre. Elle a étudié la couverture et l’a comparée à mon visage, comme s’il s’agissait d’un passeport. »
« Chose à peine absurde, j’ai pris son pied de la même façon que je l’aurais fait pour lui passer une pantoufle de vair. »

(Il la trouve de son goût)
« […] elle avait le teint pâle, les cheveux courts et bruns – à l’exception de sa longue frange qu’elle a coincée à cet instant derrière son oreille – et une nuque soigneusement rasée de façon à souligner la courbe de son crâne. Le résultat, curieusement austère et glamour à la fois, m’évoquait une Jeanne d’Arc tout juste sortie d’un salon de coiffure. »

(Fran l’invite à intégrer sa troupe de théâtre amateur qui jouera Roméo et Juliette)
« Elle est repartie en pliant son assiette et en la fourrant dans la poche de sa jupe en jean. Puis elle a tourné la tête vers moi pour confirmer ce dont elle devait se douter, à savoir que je la suivais du regard. »

(Après la séparation des parents de Charlie)
« J’avais toujours supposé que les adultes, et les parents en particulier, restaient plus ou moins les mêmes de vingt et un à soixante-cinq ans, l’âge qui marquait le début officiel de la vieillesse. La fin de tout changement n’était-elle pas la définition même de la maturité? N’était-ce pas leur boulot de demeurer constants? »

(Charlie intègre la troupe Full Fathom Fime pour oublier sa situation familiale et se rapprocher de Fran. Répétant avec les autres comédiens dans la maison de Polly, une dame âgée)
« Elle avait des dents blanches parfaitement alignées qui paraissaient plus jeunes que sa bouche, des grands yeux vifs et des rides pareilles aux craquelures d’une peinture à l’huile. »

(Premier rapprochement avec Fran après une répétition)
« À ce moment-là, elle a posé une main sur mon épaule et, pile quand je tournais la tête vers elle, elle s’est penchée vivement et a pressé sa joue contre ma joue, si bien que j’ai senti une peau moite de sueur – la sienne ou la mienne, je n’aurais pas su l’affirmer. »
« Se séparer est un si doux chagrin, a-t-elle murmuré à mon oreille. »

(Dans l’auto de sa mère qui se sent coupable d’être partie avec sa sœur plutôt qu’avec lui)
« Elle s’était mise à pleurer. Alors seulement, je m’étais tourné vers elle pour la serrer contre moi, avant d’être stoppé net par la ceinture de sécurité. »

(Surpris par la pluie, il arrive à une répétition trempé à lavette)
« […] une brume marécageuse remontait le long de mon corps à mesure que mes vêtements trempés par la pluie se réchauffaient, et pendant que tout le monde riait, s’extasiait et applaudissait, je suis resté là à dégager de la vapeur, tel un vampire à la lumière du soleil. »

(Dans une maison de riche où Fran et Charlie ont été invités avec d’autres membres de la troupe)
« Elle a fait [dans la piscine] une culbute au ralenti, une, deux, trois fois d’affilée, son déshabillé noir pareil à l’encre d’une pieuvre. »

(Après une autre baignade où, cette fois-ci, ils sont seuls)
« Elle tenait ses sous-vêtements roulés en boule dans sa main gauche et sa robe encore mouillée lui collait à la peau comme une algue à un rocher. »

(Fusionnels, après une séance intense d’embrassade et de pelotage)
« […] lorsqu’on s’arrêtait enfin, nos conversations étaient plus franches, pénétrantes, libres, intenses, spirituelles, sérieuses et profondes que toutes celles qui les avaient précédées. »

(Les préparatifs de leur première nuit ensemble)
« Il nous faudra une capote aussi. J’en avais une dans mon portefeuille qui provenait d’un lot de trois – de quoi me durer toute la vie, m’étais-je dit le jour où, le cœur battant, je les avais achetées dans les toilettes du club de golf dans lequel travaillait ma mère. »
« […] il serait ridicule de croire qu’il n’y avait rien de sexuel dans tout ce qu’on avait déjà fait, mais là, on irait jusqu’au bout, comme quand on va au bout des choses, ou du monde, ou d’un rêve. »

(Puis, comme chante Joël Denis dans son célèbre succès C’est pas encore fait, mais ça va venir, ils l’ont fait fait fait fait fait fait, d’abord maladroitement avant de recommencer)
« Tu as déjà fait des crêpes? Eh bien, c’est comme lorsqu’on fait des crêpes. La première fois est toujours un essai. »
« On a ri [après la deuxième fois] et elle a remonté le drap sur nous. Être allongé dans un lit avec elle, nos corps collés l’un contre l’autre, était en soi quelque chose d’aussi intime et surprenant que l’acte sexuel lui-même. »
« [Puis ça repart] on s’est embrassés jusqu’à ce qu’on ait tous les deux la même haleine. »

(Ils auront d’autres occasions de faire l’amour jusqu’à ce que Fran, plus lucide que Charlie lui fasse cette confidence sur l’oreiller)
« Désolée. Je sais que tu ne m’aimes pas parler de l’avenir, mais il arrivera quoi que tu fasses. »

Il arrive à la fin de l’été quand Fran poursuivra ses études dans une autre ville et que Charlie la laissera partir peu à peu. Car le premier amour, qui reste le plus beau moment de toute la vie quand il survient, n’est-il pas qu’un bref interlude entre l’anticipation et le désespoir, sur le chemin de l’âge adulte : « Donne-moi mon Roméo et, quand je mourrai, prends-le et découpe-le en petites étoiles, et il rendra le visage du ciel si beau que le monde entier sera amoureux de la nuit. » (Réplique de Fran dans Roméo et Juliette, Shakespeare)