Roman de Louis-Ferdinand Céline, connu davantage sous son nom de plume: Céline. Récompensé par le prix Renaudot en 1932. Le titre m’a d’abord accroché, puis le texte au dos du livre:
« Oh! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand! Vous êtes répugnant comme un rat…
– Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans… Je ne la déplore pas moi… Je ne me résigne pas moi… Je ne pleurniche pas dessus moi… Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu’elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c’est eux qui ont tort, Lola, et c’est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux: je ne veux plus mourir. »
Céline est considéré comme l’un des plus grands novateurs de la littérature française du 20e siècle. Il introduit un style elliptique en usant d’une langue littéraire très personnelle, différente des écrivains de l’époque, proche souvent du langage parlé.
Voyage au bout de la nuit est son premier roman. C’est l’histoire, comprends-tu, de Ferdinand Bardamu qui raconte son expérience (terrifiante) de la Première Guerre mondiale, les ratages du colonialisme français en Afrique, sa fuite aux États-Unis et son retour à Paris durant l’entre-deux guerres.
En voici des petits bouts:
(Cantonné dans une petite ville avec d’autres soldats)
« Ces maisons du faubourg qui limitaient notre parc se détachaient encore une fois, bien nettes, comme font toutes les choses avant que le soir les prenne. Les arbres grandissaient dans l’ombre et montaient au ciel rejoindre la nuit. »
(Dans un port, en route vers un poste qui lui a été offert à Fort Gono en Afrique noire coloniale)
« Des files de nègres, sur la rive, trimaient à la chicote, en train de décharger, cale après cale, les bateaux jamais vides, grimpant au long des passerelles tremblotantes et grêles, avec leur gros panier plein sur la tête, en équilibre, parmi les injures, sortes de fourmis verticales. »
« Le Papaoutab (un cargo) fendait l’eau comme s’il l’avait suée toute lui-même, douloureusement. »
(À New York où il est allé rejoindre Lola, une Américaine qu’il a connue à Paris)
« Tout à coup, ça s’est élargi, notre rue comme une crevasse qui finirait dans un étang de lumière. On s’est trouvés là devant une grande flaque de jour glauque coincée entre des monstres et des monstres de maisons. »
(Évoquant sa désespérance en cette terre d’Amérique après avoir vu un film dans lequel une blonde à gros nichons chante une chanson triste)
« Dans ma chambre, à peine avais-je fermé les yeux que la blonde du cinéma venait me rechanger encore et tout de suite pour moi seul alors toute sa mélodie de sa détresse. Je l’aidais pour ainsi dire à m’endormir et j’y parvins assez bien… Je n’étais plus tout à fait seul… Il est impossible de dormir seul… »
(De retour à Paris, il devient médecin des pauvres et rencontre la tante de Bébert un petit garçon qu’il soigne mais qui va mourir)
« Du chagrin enfin lui était venu tout au bout des mots, elle n’avait pas l’air de savoir qu’en faire du chagrin, elle essayait de se le moucher, mais il lui revenait son chagrin dans la gorge et des larmes avec, et elle recommençait. »
(Pas pressé de vieillir)
« J’étais comme arrivé au moment, à l’âge peut-être, où on sait bien ce qu’on perd à chaque heure qui passe. Mais on n’a pas encore acquis la force de sagesse qu’il faudrait pour s’arrêter pile sur la route du temps et puis d’abord si on s’arrêtait on ne saurait quoi faire non plus sans cette folie d’avancer qui vous possède et qu’on admire depuis toute sa jeunesse. Déjà on en est moins fier d’elle de sa jeunesse, on ose pas encore l’avouer en public que ce n’est peut-être que cela sa jeunesse, de l’entrain à vieillir. »
Long récit pas du tout jovialiste qui s’inspire de l’expérience personnelle de Céline qui a participé à la Grande Guerre. Et qui dénonce aussi le colonialisme, ce purgatoire des Français, l’Amérique du dieu Dollar et la misère humaine qui sévit alors dans la banlieue parisienne. Dans un style bien à lui où le plus-que-parfait du subjonctif côtoie sans distorsion le langage oralisant et l’argot.