C’est le cœur qui meurt en dernier

En amour
C’est le cœur qui meurt en dernier.

D’abord ce sont nos yeux qui s’éteignent
Qui ne voient plus la personne aimée
Ni son visage, ni ses sourires
Qui pourtant nous avaient séduits
Enflammés, envoûtés
À côté de soi
Il n’y a plus qu’une ombre
Qui nous suit
Qui rampe par terre
Dont on ne peut encore se défaire
L’ombre des jours heureux.

Mais le cœur, tout ce temps
Bat encore.

Puis ce sont les bras qui se désarticulent
Pendant comme deux pendules
Contre une marionnette de chair
Qui n’entourent plus la personne aimée
Ni par devant, ni par derrière
Par envie ou par surprise
Les mains avides de saisir
Un sein, une fesse, même deux, un ventre
Deux corps soudés l’un à l’autre
Siamois
Soudain séparés
Soudain orphelins.

Mais le cœur, tout ce temps
Bat pour deux.

Puis c’est le goût de l’autre qui s’altère
Celui de croquer la personne aimée
À petites bouchées
Derrière les oreilles
Le bout des doigts, des orteils
Souffler comme avant
Dans son nombril
Et attendre que son ventre se gonfle
Qu’il devienne oreiller
Y appuyer sa tête
Chercher la petite bête
Notre enfant à naître.

Et le cœur, tout ce temps
Bat pour trois.

Puis ce sont les souvenirs qui s’estompent
Ceux des premières rencontres
La main cadenassée à celle de la personne aimée
Ensemble tout le temps
Les sorties, les voyages
Mille sourires, mille images
Passer d’hier à demain
Sans vêtements
Sans soucis, sans rien
Seuls partout
Dans un monde à bâtir
Où il n’y a que nous deux.

Et le cœur, tout ce temps
Battait plus que jamais.

Puis ce sont les mots qui s’effacent
D’abord les mots tendres offerts à la personne aimée
Écrits sur des cartes
Inertes dans les tiroirs
Aveux désuets, expirés
Et ceux qui ne franchissent plus la gorge
Par manque d’inspiration
Page blanche dans la tête
Extinction de voix.

Ensuite les mots de tous les jours
Échangés aux repas
Ceux des tâches ménagères
En tenue légère
Ceux du matin devant un café
Des baisers furtifs
Ceux à l’épicerie et des boutiques
Ceux qui autrefois
S’échangeaient devant la télé
Enlacés sur le divan
Au resto où on ne va plus
Chacun plongé dans son ordi.

Puis le silence se répand comme une brume
Étouffant le bruit des pas de la personne aimée
Même son nom se dissipe
Naufragé
Emporté dans un trou noir
Exilé dans la mémoire.

Alors seulement
Après tout ce temps
Sans plus de raisons de battre
Pour la personne aimée
Le cœur, ce métronome
Vacille, ralentit et s’arrête.