Conversation entre hommes

Papa, veux-tu m’expliquer?
Quoi? Comment faire des bébés?
Non, ça je le sais déjà.
C’est maman qui t’a appris?
Non, Internet.
Ah bon.
Non, tu peux m’expliquer comment faire comprendre à une fille que je l’aime.
T’es amoureux?
Oui. Une fille de ma classe. Elle s’appelle Élodie. C’est la fille la plus belle, la plus intelligente et la plus fine du monde.
Écris-lui un message : Veux-tu sortir avec moi?
Papa, j’ai douze ans, pas sept. Ça, ça se faisait au primaire. Et dans ton temps.
Ouais, peut-être. Et tu pourrais commettre des fautes d’orthographe dans le message.
(Coup de coude du fils dans les côtes flottantes de son père)
J’suis gêné avec les filles. Je sais pas comment aborder Élodie.
Je l’étais aussi, gêné, plus jeune. Même quand j’ai rencontré ta mère.
Comment t’as fait pour la séduire?
Je peux te donner ma recette mais c’est un truc qui date du 20^e siècle.
Au point où j’en suis, raconte.
Ta mère et moi nous croisions presque chaque jour; on travaillait dans le même édifice, elle au 4 ^e, moi au 8^e étage. C’était la femme la plus belle, la plus intelligente et la plus gentille du monde… après Élodie. Depuis trois ans que j’étais redevenu célibataire, je n’avais pas été attiré par une seule fille. Quand je l’ai vue la première fois, ça m’a viré à l’envers. Quand elle m’a souri la première fois, je me suis appuyé contre un mur pour pas tomber. Quand elle m’a parlé la première fois, j’ai oublié que j’avais moi aussi une langue, j’ai bredouillé « scuse j’ai envie de pisser et je me suis réfugié dans la toilette la plus proche pour bander. Désolé pour mon langage, fiston.
Ça va papa, j’bande aussi tu sauras.
Deux mois ont passé. Je l’observais du coin de l’œil. Elle était gentille avec moi chaque fois que je la rencontrais. Puis je me suis dit : « Ça suffit. Fais un homme de toi et invite-là au cinéma. » J’ai réfléchi à une façon originale de lui demander de sortir avec moi. Puis j’ai acheté une pomme et une rose. Que j’ai déposées sur son bureau avec un petit mot : « La dernière femme à qui j’ai offert une pomme, c’était M^me Coutu, ma prof de 5^e année; la dernière à qui j’ai offert une rose, c’était mon ex-blonde. Tu es la première à qui j’offre les deux. »
(Silence)
Et ça a marché?
Tu es né un an plus tard.
Wow. Je pense que je vais essayer ton truc même si c’est un peu vieux jeu.
Fils, il y a des choses qui ne se démoderont jamais : la noblesse d’esprit, la sincérité et les bonnes manières. Je crois que tu possèdes les trois. Sois toi-même avec Élodie.
D’accord. As-tu acheté des pommes à l’épicerie cette semaine?
Oui. Des McIntosh, ça devrait faire l’affaire. Et il y a un fleuriste au coin de la rue. Une dernière chose, si tu l’invites au cinéma, pas certain que le film Barbie soit un bon choix. Enfin, tu verras. Et arrange-toi pas pour que je devienne grand-père dans un an.
Promis papa.