Pieds nus dans l’aube

Certains titres de romans sont si bien choisis qu’ils donnent aussitôt envie de les lire. Mes nuits sont plus belles que vos jours de Raphaëlle Billetdoux. Les cerfs-volants de Kaboul de Khaled Hosseini. Pieds nus dans l’aube de Félix Leclerc. Publié chez Fides en 1947. Qui évoque, comprends-tu, l’enfance parfaitement heureuse de l’auteur, de 12 à 14 ans, vécue à La Tuque, petite ville du Québec, dans les années 1920.

En voici des passages:

(Pour décrire sa maison, rue Claire-Fontaine, remplie d’une trâlée d’enfants)
« Nous sommes tous nés frères et sœurs, dans une longue maison de bois à trois étages, une maison bossue et cuite comme un pain de ménage, chaude en dedans et propre comme de la mie. »
« Rouille sur le flanc, noir sur le toit, blanc alentour des fenêtres, notre lourd berceau se tenait écrasé sur un gros solage en ciment, rentré dans la terre comme une ancre de bateau. »

(Pour décrire sa ville, La Tuque)
« Blottie derrière les monts, aérée par l’haleine des lacs inconnus, caressée par une lumière qui se levait à même les chutes et s’endormait chez les longues épinettes du Fer-à-Cheval. »

(Et le quartier des « gens à l’aise »)
« Coquettes demeures posées sur des gazons comme sur des tapis. »

(Parlant du Père Richard, leur chambreur, ami de son père et ancien draveur)
« Quand il était fatigué, il regagnait sa chambre et, jusqu’à l’heure du souper, immobile dans le cadre de la fenêtre comme un portrait d’aïeul, la pipe éteinte dans la moustache jaunie, il répétait non au vent qui le harcelait de tentations. »

(Avec son frère le deuxième)
« Souvent le matin nous nous passions la tête derrière la toile pour surprendre celui qui mettait des gouttes de rosée sur les feuilles de choux. Je me couchais sous une fenêtre pour avoir le dernier le bonsoir de la lune, pour avoir le premier le salut du soleil. »

(À table pour le souper)
« Lorsque la famille était réunie à table et que la soupière fumait ses parfums jusqu’à nous étourdir, maman disait parfois:
‑ Cessez un instant de boire et de parler.
Nous obéissions.
‑ Regardez-vous, disait-elle doucement.
Nous nous regardions, sans comprendre, amusés.
‑ C’est pour vous faire penser au bonheur, ajoutait-elle. »

(Sa mère)
« Aucune tempête ne la fit sombrer parce qu’elle tenait sa tête dans la zone que n’atteignent pas les tempêtes. »

(Avec son ami Fidor qui lui annonce la naissance de sa petite sœur)
« Fidor m’envoya ces mots et je devins tout ému comme la surface de l’eau quand il pleut. »

(Au campement de son père en pleine forêt)
« Là au Canton Mayou, je connus mes premiers repas et mes premières nuits en forêt, ma première aube mouillée de brume, les soleils d’or se vautrant dans l’herbe sèche, les veillées à la lampe, les pipes qui fument sans bouger comme dans des bouches de statue, la chaudière de boucane à la porte du campement, pour chasser les moustiques, la lointaine et longue plainte des loups dans la nuit.. le silence de lune. »

(Fidor et lui, invités par garde Lemieux, une infirmière, à une fête de gens riches)
« Fidor, avec sa mine de ne pas s’amuser, happait chaque bribe de joie comme une bête à qui on lance des morceaux de nourriture. »
« Elle avait (garde Lemieux) l’élégance et la majesté d’une reine. Sa robe aux reflets mauves, comme taillée à même un commencement de nuit, touchait le sol. »

(Se rendant à la ferme de Ludger, son ami qui n’aime pas l’école)
« Moi je sifflais dans le bout de l’aulne tout le long du chemin comprenant mal pourquoi Ludger était forcé d’apprendre des leçons et d’attacher des lettres ensemble quand il trouvait préférable de folâtrer avec les truites des ruisseaux. »

(L’hiver)
« Un petit rideau de glaçons, semblable à du verre taillé, pendait dans ma fenêtre et buvait les couleurs de la lune. »

(Se rendant à l’église où il est servant de messe)
« Je venais vers six heures, les matins de semaine. Je poussais la barrière toute humide de brume, sans briser les toiles que les araignées avaient tissées entre les carreaux de broche durant la nuit. »

(Pour décrire un comédien durant une pièce jouée à la salle paroissiale)
« Haussé dans ses souliers à gros talons blancs, ce jeune homme fumait avec distinction et portait gravement un immense chapeau de paille ridicule, sous lequel il avait l’air d’un champignon. »

(Nostalgique à 14 ans, s’apercevant que son enfance est derrière lui)
« C’aurait été pourtant si facile pour le bon Dieu… d’arrêter le temps certain soir d’été, alors qu’il a plu beaucoup l’après-midi et que le soleil paraît pour tiédir le vent; que l’arc-en-ciel s’empare des gouttes d’eau et fait le pont d’une montagne à l’autre; que tous les gavroches, pieds nus dans les lacs de la rue, s’interpellent en secouant des cris heureux. »

Ce grand bonheur de l’enfance est-il devenu, chez Félix, Le p’tit bonheur de la chanson? Chose certaine, le temps s’arrête quand on lit le roman.

Note à ma petite sœur. En tournant la dernière page du roman, j’ai vu que c’est écrit « Louise Robichaud, avril 74 ». Il semble bien que ce livre t’appartienne. Je peux te le rendre, si tu veux, mais il est un peu magané et un peu annoté. Bise.

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