Bel-ami

Roman de Guy de Maupassant publié en 1885. Comme souvent au 19siècle, il paraît d’abord sous forme de feuilleton dans un quotidien avant d’être édité en livre. C’est l’histoire, comprends-tu, de Georges Duroy, pauvre mais beau bonhomme, arriviste et opportuniste, qui use de l’attrait qu’il exerce sur les femmes, belles, ou brillantes, et surtout riches, pour gravir la pyramide sociale parisienne. En voici des extraits. Qui ne plairont sans doute pas tous à la gent féminine du 21siècle.

(Première conquête de Duroy, une prostituée, qui ne lui fait pas payer sa nuit d’amour)
« C’était une grosse brune à la chair blanchie par la pâte, à l’œil noir, allongé, souligné par le crayon, encadré sous des sourcils énormes et factices. Sa poitrine, trop forte, tendait la soie sombre de sa robe: et ses lèvres peintes rouges comme une plaie, lui donnaient quelque chose de bestial, d’ardent, d’outré, mais qui allumait le désir. »

(Description du bellâtre)
« Il avait la parole facile et banale, du charme dans la voix, beaucoup de grâce dans le regard et une séduction irrésistible dans la moustache. Elle s’ébouriffait sur sa lèvre, crépue, frisée, jolie, d’un blond teinté de roux avec une nuance plus pâle dans les poils hérissés des bouts. »

« Puis il se regarda longuement, émerveillé d’être vraiment aussi joli garçon; puis il se sourit avec complaisance; puis, prenant congé de son image, il se salua très bas avec cérémonie, comme on salue les grands personnages. »

(Et de son modeste logis)
« Ses murs, tendus d’un papier gris à bouquets bleus, avaient autant de taches que de fleurs, des taches anciennes, suspectes, dont on n’aurait pu dire la nature, bêtes écrasées ou gouttes d’huile, bouts de doigts graissés de pommade ou écume de la cuvette projetée pendant les lavages. »

(Invité parmi des gens de la grande société chez Charles Forestier, ancien compagnon d’armes, dirigeant le journal La Vie française où Duroy vient de faire son entrée au bas de l’échelle)
« Ils parlèrent de Paris, des environs, des bords de la Seine, des villes d’eaux, des plaisirs de l’été, de toutes les choses courantes sur lesquelles on peut discourir indéfiniment sans se fatiguer l’esprit. »

(Il s’éprend de la femme de Forestier, intelligente et talentueuse, qui rédige les articles de son mari au journal)
« … il éprouvait surtout le désir de se coucher à ses pieds, ou de baiser la fine dentelle de son corsage et d’aspirer lentement l’air chaud et parfumé qui devait sortir de là, glissant entre les seins. »

(Mais il séduit d’abord la belle Mme de Marelle, amie de Mme Forestier)
« Tout ce qui vêtait son corps, tout ce qui touchait intimement et directement sa chair, était délicat et fin. »

« Ce fut le moment des sous-entendus adroits, des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques, de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes, qui fait passer dans l’œil et dans l’esprit la vision rapide de tout ce qu’on ne peut pas dire, et permet aux gens du monde une sorte d’amour subtil et mystérieux, une sorte de contact impur des pensées par l’évocation simultanée, troublante et sensuelle comme une étreinte, de toutes les choses secrètes, honteuses et désirées de l’enlacement. »

« Ce geste, presque insensible, lui fit courir, de la tête aux pieds, un grand frisson sur la peau, et, se tournant vivement, il se jeta sur elle, cherchant la bouche avec ses lèvres et la chair nue avec ses mains. »

« Il en tenait une, enfin, une femme mariée! une femme du monde! du vrai monde! du monde parisien! Comme ça avait été facile et inattendu! »

(Plus tard, réponse de Mme Forestier à son autre déclaration d’amour)
« Je sais bien que chez vous l’amour n’est autre chose qu’une espèce d’appétit, tandis que chez moi ce serait, au contraire, une espèce de communion des âmes qui n’entre pas dans la religion des hommes. »

(Au golfe Juan, avec Forestier, très malade, et sa femme qui l’a invité à venir)
« Au milieu de la vaste baie, on apercevait, en effet, une demi-douzaine de gros navires qui ressemblaient à des rochers couverts de ramures. Ils étaient bizarres, difformes, énormes, avec des excroissances, des tours, des éperons s’enfonçant dans l’eau, comme pour aller prendre racine sous la mer. »

(Et manifestant déjà le désir de s’approprier la femme du mari décédé, un bon parti comme on dit)
« Il ne savait comment lui laisser comprendre qu’il serait heureux, bien heureux, de l’avoir pour femme à son tour. Certes il ne pouvait pas le lui dire, à cette heure, en ce lieu, devant ce corps; cependant il pouvait, lui semblait-il, trouver une de ces phrases ambigües, convenables et compliquées, qui ont des sens cachés sous les mots, et qui expriment tout ce qu’on veut par leurs réticences calculées. »

(Qu’il finit par épouser)
« Ça me semble drôle. J’ai envie de vous embrasser et je m’étonne d’en avoir le droit. »

« La douceur de cette voix émut la jeune femme, lui fit passer sur la chair un frémissement rapide, et elle offrit sa bouche, en se penchant sur lui, car il avait posé sa joue sur le tiède appui des seins. »

(En route vers Cantaleu, une bourgade près de laquelle vivent les parents paysans de Duroy)
« Plus nombreuses que leurs frères les clochers, elles (les cheminées) dressaient jusque dans la campagne lointaine leurs longues colonnes de briques et soufflaient dans le ciel bleu leur haleine noire de charbon. »

(Duroy, amoureux de sa femme)
« Ils se souriaient, enchantés et surpris, comme s’ils venaient de se révéler l’un à l’autre. Ils se regardaient au fond des yeux, émus d’admiration et d’attendrissement; et ils s’embrassèrent avec élan, avec une ardeur d’amour communiquée de leurs esprits à leurs corps. »

(Mais, sitôt revenu à Paris, il la trompe avec Mme de Marelle, et se trouve heureux)
« Il se frottait les mains, tout en marchant avec une joie intime, la joie du succès sous toutes ses formes, la joie égoïste de l’homme adroit qui réussit, la joie subtile, faite de vanité flattée et de sensualité contente, que donne la tendresse des femmes. »

(Devenu Du Roy, ça fait plus noble, il s’enflamme, par intérêt, pour la prude et quadragénaire Mme Walter, femme du richissime M. Walter, propriétaire du journal)
« Je ne peux plus vivre sans vous voir. Que ce soit chez vous ou ailleurs il faut que vous voie, ne fût-ce qu’une minute tous les jours, que je touche votre main, que je respire l’air soulevé par votre robe, que je contemple la ligne de votre corps, et vos beaux grands yeux qui m’affolent. »

(Et la dame, sous ces assauts, d’avoir des pensées impures à confesser auprès du premier prêtre venu)
« Relevez-vous, dit-il, j’ai justement sur moi la clé du confessionnal. En fouillant dans sa poche, il en tira un anneau garni de clés, puis il en choisit une, et il se dirigea, d’un pas rapide, vers les petites cabanes de bois, sorte de boîtes aux ordures de l’âme, où les croyants vident leurs péchés. »

(Pantelante, Mme Walter cède, trois pages plus loin)
« Il lui laissa ses bottines et l’emporta dans ses bras vers le lit. Alors, elle lui murmura à l’oreille, d’une voix brisée: Je vous jure… je vous jure… que je n’ai jamais eu d’amant comme une jeune fille aurait dit: Je vous jure que je suis vierge. »

(Ce qui lui fait deux maîtresses, une belle jeune et une vieille riche)
« Et quand il lui fallait rentrer pour dîner chez Mme Walter, il haïssait la vieille maîtresse acharnée, en souvenir de la jeune qu’il venait de quitter, et qui avait défloré ses désirs et moissonné son ardeur dans les herbes du bord de l’eau. »

(S’avisant parfois que c’est sa propre femme, Mme Du Roy, qui lui cause le moins de soucis)
« Et il songea qu’en effet la sienne était la seule qui ne le tourmentait jamais. Elle vivait de son côté, et elle avait l’air de l’aimer beaucoup aux heures destinées à l’amour, car elle n’admettait pas qu’on dérangeât l’ordre immuable des occupations ordinaires de la vie. »

(Notamment, lorsqu’il voyait ses deux maîtresses, la vieille et la jeune, l’une après l’autre)
« Il ne se défendit point d’abord, puis comme elle (la vieille) s’enhardissait, l’étreignant et le dévorant de caresses, il songea que l’autre allait venir tout à l’heure et que s’il faiblissait, il perdrait du temps, et laisserait aux bras de la vieille une ardeur qu’il valait mieux garder pour la jeune. »

« Clotilde (la jeune Mme de Marelle) l’appelait aussi: Mon chéri, mon petit, mon chat. Ces mots lui semblaient si doux et caressants. Dits par l’autre tout à l’heure (la vieille Mme Walter), ils l’irritaient et l’écœuraient. Car les paroles d’amour, qui sont toujours les mêmes, prennent le goût des lèvres dont elles sortent. »

(Puis il se met à faire la cour à Suzanne, la cadette des filles de sa maîtresse, Mme Walter, jeune, belle et riche, bien plus en moyens que son épouse actuelle)
« Sa compagne (Suzanne) ne parlait plus, un peu songeuse. Il la regarda de côté et il pensa encore une fois: Il suffisait pourtant d’épouser cette marionnette de chair. » (avouez, lecteurs, que ce bellâtre moustachu est un beau trou du cul)

Du Roy surprend sa femme avec un amant. Occasion rêvée de divorcer en ce siècle où le code Napoléon n’accorde aucun droit aux femmes. Puis il convainc Suzanne de s’enfuir avec lui. La mère de Suzanne s’effondre. Le père de la jeune fille et richissime M. Walter, cède. Il mariera sa benjamine, sinon déshonorée, à Du Roy.

(Au mariage de Du Roy et Suzanne, cette miniature d’épousée)
« L’église s’emplissait lentement. Un flot de soleil entrait par l’immense porte ouverte éclairant les premiers rangs d’amis. Dans le chœur qui semblait un peu sombre, l’autel couvert de cierges faisait une clarté jaune, humble et pâle en face du trou de lumière de la grande porte. »

(Sermon dérisoire du curé sur la montagne)
« Il parla de fidélité, longuement, en termes pompeux. C’était un gros homme de grande taille, un de ces beaux prélats chez qui le ventre est une majesté. »

(Marié à sa riche héritière, Georges Du Roy de Cantel est un homme comblé mais qui n’est pas prêt de changer)
« Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point; sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l’éclatant soleil flottait l’image de Mme de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit. »

Roman évoquant l’ascension sociale réussie d’un séducteur cynique et crapuleux. Satire d’une société où seuls comptent l’argent et le pouvoir. De tels arrivistes, avides de réussite, doivent encore exister de nos jours. La moustache en moins.

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