Je pensais que mon père était Dieu

Dans le cadre d’une émission de radio, l’écrivain Paul Auster demande à ses auditeurs de lui envoyer des histoires. Aucune restriction quant aux sujets abordés mais les textes doivent être courts afin qu’il puisse les lire à l’antenne. Gros succès. Auster sélectionne 172 de ces histoires, les classe par thèmes et les publie dans une anthologie intitulée Je pensais que mon père était Dieu chez Actes Sud en 2001. Je vous en présente trois que j’ai résumées pour vous, par pure bonté d’âme!

Première histoire
Thème: L’amour
Titre: La bonne aventure

Sharli Land-Polanco de Providence, Rhode Island, raconte. Mes parents s’aimaient beaucoup. Un brin candides, ils ont conservé le message d’un « fortune cookie » déballé dans un restaurant asiatique au début de leur mariage: « Vous et votre épouse vivrez heureux ensemble ». Ils le gardaient dans une photo encadrée où on les voyait tous les deux, souriants, sur une plage. J’ai toujours aimé cette photo et la prédiction du biscuit semblait se réaliser: durant vingt-six ans, mes parents ont été heureux ensemble. Puis, le cancer a emporté ma mère. Très vite, tout juste cinq semaines après mon mariage. Mon père et moi étions dévastés. Après son enterrement, toute la famille s’est réunie dans un restaurant vietnamien. Pour parler de ma mère, bien sûr, et échanger des souvenirs; un moment doux-amer. Après le dîner, nous avons déballé nos « fortune cookies ». Dans la papillote de mon mari se trouvait cette prédiction: « Vous et votre épouse vivrez heureux ensemble »! Nous la conservons précieusement dans une photo encadrée de nous deux, souriants, le jour de notre mariage.

 

Deuxième histoire
Thème: La mort
Titre: Harrisburg

Rabdee Rosenfeld de Egg Harbor Township, New Jersey, raconte. 27 août 1996, mon père subit une rupture d’anévrisme au cerveau. Conduit à l’hôpital et opéré, les médecins ne pensent pas qu’il survivra. Il survit. Les médecins lui posent des questions pour savoir s’il va bien. Quel âge avez-vous? En quelle année sommes-nous? Qui est président des États-Unis? Il répond correctement à toutes les questions. Sauf une: Où habitez-vous? Il répond: Harrisburg, Pennsylvanie. Or, notre maison se trouve à Egg Harbor Township au New Jersey. La semaine suivante, il semble aller mieux puis rechute. Les médecins déclarent peu après la mort cérébrale. Une infirmière se présente à ma mère et moi. Elle nous parle de dons d’organes. Que le cœur de mon père pourrait donner à quelqu’un d’autre la chance de prolonger sa vie. Une semaine après l’enterrement, nous reçûmes une lettre de l’institution qui gérait les dons d’organes. On nous donnait des informations sur le receveur, d’où il était et comment il allait: « Un homme de 53 ans, père de 3 enfants, a reçu le cœur de Raymond Rosenfeld (mon père). Il habite Harrisburg, Pennsylvanie ». Des frissons me parcoururent. Je crois que mon père savait qu’il allait mourir, et je crois aussi qu’il savait que son cœur ne mourrait pas avec lui. Se pourrait-il qu’il ait su qu’il continuerait de vivre à Harrisburg?

 

Troisième histoire
Thème: Les rêves
Titre: L’interprétation des rêves

V. Ferguson-Stewart d’Indianapolis, Indiana, raconte. Enfant tardif, je suis né 20 ans après ma grande sœur. Contrairement à elle, je n’ai jamais connu les parents de mon père; ils sont morts avant ma naissance. Quand j’eus 18 ans, ma sœur me demanda de lui raconter un de mes rêves, disant qu’elle m’en expliquerait la signification. C’était son hobby, l’interprétation des rêves. Je lui parlai alors d’un rêve récurrent, que je faisais tous les deux ou trois mois depuis l’âge de dix ans, et qui devenait chaque fois plus long et plus précis. Dans ce rêve, je suis assis dans une voiture rouge qui roule à travers champs. Sa conductrice, une femme âgée, s’arrête devant une maison blanche à étage. Des marches en ciment ont commencé à s’enfoncer dans le sol. Une vieille balançoire se trouve sur le perron. Je pénètre dans la maison. À gauche, je vois une salle à manger. Devant, un escalier. À droite, un salon peint couleur bourgogne. S’y trouve un bureau à tambour avec une photographie de ma grande sœur, toute jeune, accroupie à côté d’un vieux camion. À l’arrière de la maison, il y a la cuisine qui donne sur la cour ou pend un étendoir à linge. Pendant que je lui racontais mon rêve, je m’aperçus que ma sœur me regardait fixement, l’air stupéfait. Quand je lui demandai de m’en expliquer la signification, elle dit: « Tu as décrit à la perfection la maison de notre grand-mère, jusqu’à ma photo sur le bureau à tambour du salon ». Ma grand-mère est morte trois ans avant ma naissance. Tout de suite après, sa maison fut démolie.

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