Jacob, 70 ans, était juif. Né au Québec, sa famille avait migré en Israël en 1960. Quittant parents et amis.
Car Jacob avait des amis québécois, un, en particulier, qui lui était cher. René le catholique avait le même âge que Jacob. Voisins de palier, ils passaient leurs journées ensemble. Discutant de tout et de rien comme des enfants de 10 ans peuvent le faire. Mais aussi, parfois, de choses sérieuses comme les relations entre pratiquants juifs et catholiques. Ou celles des Français et des Anglais. Des Italiens, des Portugais, des Noirs.
Séparés, ils s’écrivirent des années durant. Avant de correspondre à l’aide d’un ordinateur. Ce qui permit à Jacob de conserver son français. Il vivait à Jérusalem. Très croyant en sa foi mais aussi tolérant envers celle des autres, chaque jour il se rendait prier devant le mur des Lamentations.
Il priait pour l’harmonie entre les peuples. Pour la paix entre chrétiens, juifs et musulmans. Pour la fin de toutes les guerres. Pour que cesse la haine sous toutes ses formes. Et, en ce lundi 25 mai 2020, il pria pour la fin du racisme dans le monde, après qu’il eut appris le meurtre de cet Afro-américain, George Floyd, par un policier blanc aux États-Unis.
On aurait dit que Jacob priait pour rien devant ce mur depuis une éternité. Et l’éternité, comme raconte Woody Allen, c’est long, surtout vers la fin.
De retour chez lui, Jacob écrivit à René. Pour lui raconter ses états d’âme.
« René, je prie Dieu devant le mur des Lamentations. ce lieu sacré, depuis des dizaines d’années. Pour la paix et la bonne entente entre tous ceux qui pratiquent leur religion, peu importe leur race, leur nationalité, leur statut social ou leur allégeance politique et regarde encore aujourd’hui ce qui s’est passé à Minneapolis. »
« Je sais. Les hommes mettent du temps à comprendre qu’ils sont tous égaux devant Dieu. »
« Alors pourquoi Dieu n’entend-il pas mes prières? On dirait que, chaque jour depuis 60 ans, je parle à un… mur. »
René prit une grande respiration. Car il avait appris que le silence est la digestion de la parole.
« Peut-être, mon ami, que ce n’est pas Dieu le fautif mais les hommes. Certains d’entre eux ont érigé un mur pour s’isoler des autres. Et, à cause de ce mur qu’ils n’arrivent pas à abattre, ils ne peuvent plus s’évader d’eux-mêmes. »