Le mystère Henri Pick

Le premier roman que j’ai lu de David Foenkinos était La délicatesse, il y a une dizaine d’années. Une histoire d’amour entre Nathalie et Markus, racontée avec une sorte de candeur et remplie de passages désarmants de simplicité. Comme ceux-ci que je cite de mémoire:

« Markus pensa qu’il ne l’avait jamais vue le soir. Il était presque étonné qu’elle puisse exister à cette heure de la journée. »
« Nathalie fut surprise de constater qu’il avait la même tête que la veille. Une sorte de force tranquille de l’identique. »

Roman magnifique qui m’a donné le goût d’en lire d’autres du même auteur: Charlotte, Le potentiel érotique de ma femme, Les souvenirs, Nos séparations, En cas de bonheur. Le mystère Henri Pick, publié chez Gallimard en 2016, sera le dernier.

C’est l’histoire, comprends-tu, d’un bibliothécaire qui recueille dans une section de sa bibliothèque les livres refusés par les éditeurs. En visite chez ses parents, Delphine, une jeune éditrice, y découvre un manuscrit dont l’auteur est Henri Pick, propriétaire de pizzéria, mort depuis deux ans, qu’elle juge extraordinaire: Les dernières heures d’une histoire d’amour; publié, il devient un best-seller.

En voici des petits bouts:

(Pour décrire la petite ville de Crozon en Bretagne où se situe l’action)
« Il était impossible de s’ennuyer dans un tel endroit; la simple contemplation de la mer pouvait remplir une vie entière. »

(Delphine et son amoureux Frédéric chez Madeleine, la veuve d’Henri Pick)
« Ils entrèrent dans le salon. Il y avait une horloge qui gênait le silence en rappelant incessamment sa présence. »
« Elle (Madeleine) se rendit compte qu’elle ne parlait jamais d’Henri. Depuis qu’il était mort, il avait disparu des conversations, du quotidien, et peut-être même de la mémoire de tous. »

(Delphine et Frédéric au lit)
« Leur désir ne nécessitait pas d’artifices pour demeurer intense; et leur amour physique continuait d’être leur conversation la plus aisée. »

(Frédéric dans un café avec une ancienne flamme)
« Elle était plus belle aujourd’hui, comme si elle n’avait pas été épanouie à ses côtés. »

(Joséphine, fille d’Henri, divorcée)
« Son ex-mari l’appelait aussi de temps en temps, pour prendre de ses nouvelles, mais cela ressemblait à une corvée, une sorte de service après-vente de la rupture. »

(Madeleine en entrevue avec Delphine pour faire la promotion du roman de son mari)
« Madeleine énonça cette phrase un peu plus fort que les précédentes, comme si la fierté se trahissait par une mise à niveau sonore des cordes vocales. »
« Il (Henri) ne parlait pas beaucoup. Alors peut-être que c’était pour garder tous ses mots pour son livre. »

(Magali, actuelle conservatrice des manuscrits rejetés, au désespoir d’enfiler une robe élégante avant d’être filmée pour une émission littéraire)
« José, son mari, qui était de plus en plus maigre à mesure qu’elle était de plus en plus grosse (comme si un poids de couple leur avait été attribué et qu’ils devaient se débrouiller pour le répartir entre leurs deux corps). »

(Critique du roman dans la presse et plus beau passage du livre)
« Comment croire ceux qui disent écrire pour eux? Les mots ont toujours une destination, aspirent à un autre regard. »

(Rouche, un journaliste, avec le gardien du cimetière où se trouve la tombe d’Henri Pick. Il enquête sur cette histoire qu’il juge plutôt louche).
« L’homme (le gardien) retourna alors dans sa maison, sans rien ajouter. C’était un minimaliste de l’information. Il sortait, précisait M64 et repartait. M64 répéta plusieurs fois Rouche dans sa tête, avant de penser: même les morts ont une adresse. »

Rouche a raison. Il s’agit d’une imposture. Henri Pick n’a jamais écrit le roman Les dernières heures d’une histoire d’amour. Son auteur est plutôt Frédéric, l’amoureux de Delphine, qui, au final, ne retireront ni profit, ni prestige de cette simulation.

David Foenkinos a publié 18 romans. J’en ai lu sept. Je ne lirai pas les autres ni les suivants. À quoi bon puisque je sais maintenant que La délicatesse était, de loin, son meilleur.

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