Les îles de Mdzouani

Premier roman que je lis d’un auteur comorien, Abdillah Abdallah; les Comores étant un pays de l’Afrique australe formé d’îles situées dans l’océan Indien, entre le littoral nord du Mozambique et la pointe nord de Madagascar. Pour ceux qui souhaiteraient s’y rendre et visiter les plantations de vanilliers et les cultures de ylang-ylang, cet arbre à l’inflorescence superbe et à la fragrance exceptionnelle.

C’est Martin Lebarbé, éditeur au cœur tendre et collègue de longue date, qui l’a publié en 2023 et m’en a fait cadeau. C’est l’histoire, comprends-tu, d’un enfant prénommé Mdzouani, devenu très tôt orphelin de père et de mère. Victime de la spoliation et de la mesquinerie de ses familles paternelle et maternelle. Il quittera son île natale en quête d’une île meilleure mais n’échappera pas aux quolibets, au mépris, à l’envie et aux violences des siens. En voici des petits bouts.

(À trois ans, Mdzouani perd son père, Malidé, qui se fracture le crâne en tombant d’un cocotier; sa mère, Fouraha est victime des langues sales)
« Même les moilimous, les sorciers, disaient que la jeune femme portait le ouzouhali, la poisse, car elle était née un mardi, un jour néfaste ».

(Par cupidité, ses oncles paternels, de la famille des Gavana, déshéritent l’enfant)
« Ce sont des gens qui, fiers de leur richesse, s’en frappent la poitrine comme d’orgueilleux gorilles. »

(Surtout la belle-mère, qui avait choisi une autre épouse pour son fils)
« Bweni Dhahabou était une vieille femme de très mauvais cœur qui ne souhaitait le bonheur qu’à ses propres enfants. Mais pas n’importe quel bonheur, celui qu’elle avait choisi pour eux. »

(La mère de Mdzouani, Fouraha, meurt à son tour)
« Très vite, trop vite, Fouraha avait vieilli avant son heure. Son cœur flancha. Elle n’avait pas trente ans. »

(La sœur aînée de Fouraha s’approprie sa maison)
« Mdzouani, nous savons que tu vas céder de grand cœur, à tes cousines que tu aimes tant, la maison de ta maman. Tu pourras dormir dans un baha, les cabanes où dorment des garçons de ton âge, comme toi sans famille, pour te préparer à devenir un homme viril. Tes cousines sont tes sœurs puisque tu es fils unique. Elles sont déjà grandes filles. Tu ne peux pas les laisser se marier dans la rue comme des chèvres. Ici, tu seras toujours chez toi. Tu pourras passer te laver et trouver quelque chose à manger. »
« Comme un oiseau abandonné en l’air par sa mère, le jeune Mdzouani, douze ans seulement, se trouvait sans parents, il devait seul faire face à son chagrin, faire face à la vie. »

(À quinze ans, Mdzouani quitte son île natale, Ndzuwani, pour en fuir la misère, surtout la sécheresse de cœur des siens. Il se rend sur l’île voisine, Ngazidja, puis sur Moilli où il devient un fermier prospère)
« Rapidement, avec les quelques sous qu’il avait économisés, Mdzouani avait acquis un terrain près du village de Mbatsé. Le jeune homme commença à le défricher, travaillant jour et nuit pour agrandir et développer son domaine. »
« Il ne voulait pas être riche. Il voulait être libre et indépendant pour un jour, sur ses terres, établir une famille. »

(Les années passent. Il déclare son amour à Mama Titi. Comme son beau-père l’aime bien, il ne lui demande qu’une petite somme d’argent pour la dot de sa fille encore vierge. Les nouveaux mariés ne perdent pas de temps)
« Quelques mois après le mariage, Mama Titi était devenue enceinte, portant l’enfant d’un Mdzouani pas peu fier. Sans problème, la maman accoucha d’un petit garçon vite nommé Malidé, du nom du père de son père. Dix-huit mois plus tard naissait une petite fille, tout aussi mignonne que son grand frère était mignon. La petite reçut le nom de Fouraha, le nom de la mère de son père. »
« D’ailleurs, il (Mdzouani), n’appelait pas ses enfants par leur prénom, mais plutôt Papa et Maman. »

(Cinq années passent. Son entreprise est florissante ce qui attise les jalousies. On brûle sa maison, on vole sa récolte. Ses beaux-frères le menacent de mort et s’approprient ses biens. Mdzouani doit s’enfuir. Il songe à se rendre illégalement sur l’île de Mayotte, département français d’outre-mer)
« On dit que les passeurs roulent sur l’or. Ils ne parlent que de millions. Leurs comptes bancaires croissent comme des champignons ou des bambous. »
« Les voyages s’effectuent la nuit pour éviter l’œil du gouvernement. De coutume, on prononce un fatha, une invocation pour demander la protection d’Allah, même si par la suite on a recours au gris-gris. »

(Au début, tout se passe bien même si les passagers sont trop nombreux, « tels des sardines dans une boîte »)
« La mer était calme comme du lait caillé dans un bol. »

(Mais le vent se lève et leur bateau chavire)
« Chacun veillait à sauver sa vie. Comme une fin du monde, les enfants oubliaient leurs parents et les parents oubliaient leurs enfants. »

(Seul survivant, Mdzouani est conduit à l’hôpital d’où il se sauve car il est un sans-papiers)
« Sa situation l’avait amené à joindre le rang des pwérés, thons, nom donné aux illégaux qui, comme les poissons, viennent par la mer. »

(Il trouve facilement de petits boulots mal payés)
« Il s’épuisait au travail pour ne pas penser à sa femme qu’il aimait tant, à ses enfants qui lui rappelaient ses parents, à ses terres qui devaient assurer l’avenir de sa famille. »

(Il raconte son histoire aux malheureux comme lui)
« Les gens le connaissant l’avaient baptisé Mbaboufou, le bavard. Il avait accepté ce nouveau surnom sans méchanceté, contrairement à Mkoni wamadzi qui sent le caca, et Mtramadzi, le videur de toilettes. »

(Il rencontre Idriss, le mari Comorien d’une riche Française blanche)
« La femme adoptait une religion. L’homme gagnait un pays. »
« Deux mois après son mariage, il avait obtenu son passeport français, l’accès au paradis de son vivant. »
« Elle le considérait comme sa chose. Rarement voyait-on Idriss sans Rose-Marie, comme l’aiguille et son fil à coudre. »

(Comme Mdzouani est travaillant, honnête et s’y connaît en agriculture, Madame Rose-Marie le nomme contrôleur de son domaine. Ce qui suscite l’envie des autres travailleurs illégaux)
« Le Malgache affirmait qu’il portait (comme sa mère) le ouzouhali, qu’il était né sous un astre maléfique, peut-être que son père ne lui avait pas sifflé le muezzin à l’oreille droite le jour de sa naissance. »

(Désabusé, il quitte son poste de contrôleur; Madame Rose-Marie le réfère à Maître Jacques, un ancien procureur à la retraite. Il lui raconte ses malheurs: le décès de ses parents, le rejet de leurs familles, le vol de son héritage, le mépris dont il avait été la cible sur son île natale, la jalousie de ses voisins et de ses beaux-frères sur Moili qui l’avait forcé à fuir en abandonnant sa femme et ses enfants, son naufrage sur les côtes de Mayotte et le rejet des autres travailleurs chez Madame Rose-Marie)
« Maître Jacques n’avait pas interrompu Mdzouani. Il voyait et entendait un homme qui se vidait le cœur avec franchise, un homme qui lui faisait confiance, lui un propriétaire blanc. »

(Les deux hommes deviennent proches car Maître Jacques, divorcé, seul, est lui aussi orphelin)
« Trois mois sans contrat de travail, sans solde et sans aucune réclamation de sa part. Mdzouani avait travaillé durement sans rien demander. En le regardant, Maître Jacques voyait un autre phénomène d’humanité. Il voyait comment la souffrance peut façonner un être humain. »
« Mdzouani faisait semblant d’apprécier les ritournelles de Julio Iglesias que Maître Jacques chantait trop fort, en faussant. » (lorsqu’il était ivre)

(Grâce à Julio Iglesias, avec l’aide surtout de Maître Jacques, qui a mis de côté toutes ses paies en les bonifiant, Mdzouani prend du mieux et envoie de l’argent à sa femme Mama Titi pour payer les vêtements, la nourriture et les biens utiles au quotidien. Enfin, après des années d’exil, il retrouve sa famille sur son île de Moili)
« Des enfants qu’il avait abandonnés, âgés de cinq et six ans. C’étaient maintenant des adolescents. »
« Plus profondément, Mdzouani comprenait que Maître Jacques, plus qu’un ami, avait été un médecin pour son âme. »
« Grâce à la bonté d’un non-musulman, celle de mon ami Maître Jacques, j’ai retrouvé ma famille. Grâce à (ma) foi en Allah, je retrouve mes biens. »

(Il pardonne même à ses beaux-frères; personnellement, je leur aurais botté le cul)
« Mdzouani comprenait, dans son âme, que pardonner est un acte libérateur, c’est ouvrir la cage pour permettre l’envol de la haine et de la colère qui nous habitent. Pardonner à l’autre, c’est prendre soin de soi. »

(Mdzouani se rend ensuite sur son île natale pour honorer son père et sa mère)
« Ndzuwani appartenait à son passé douloureux. Il avait refusé de remettre les pieds dans la maison qui l’avait vu naître. Il avait retrouvé son île, l’île de Moili, le cœur libéré, le cœur léger. Il disait avoir gagné la dernière bataille avec son passé. Il pouvait oublier Ndzuwani. Il n’y resterait que le sépulcre de ses parents qu’il avait fait construire. »

L’aventure se termine bien pour Mdzouani. Maître Jacques entreprend les démarches pour que la citoyenneté française lui soit accordée. Il lui offre le poste de gérant de son exploitation sur l’île de Mayotte où sa famille pourra s’installer et les fonds nécessaires pour envoyer ses enfants dans un collège en France. Comme quoi, la droiture d’un homme peut parfois avoir raison de la fourberie et de l’injustice.

Dans sa préface, l’auteur remercie Monsieur Abdallah Abderemane Mchindra, son grand-père, qui l’a initié à l’art de raconter des histoires. Une pratique culturelle, à cette époque, relevant sans doute de la tradition orale. Mais d’une portée universelle. Et une façon de se perpétuer à travers la mémoire de ceux qui prendront le relais, à l’écrit. Comme Monsieur Abdillah Abdallah. Merci Martin d’avoir voulu l’éditer « entre les touts et les riens » de vos échanges épistolaires.