C’est au Cimetière Côte-des-Neiges que la mère de ma femme est enterrée. Section P. Je connais bien l’endroit, j’y ai travaillé cinq étés lorsque j’étais étudiant à l’Université de Montréal. Je guide ma femme quand elle veut s’y rendre.
Une année, nous avons trouvé une marguerite sur la tombe. Une seule petite fleur, rustique et sympathique, à pétales blancs et à cœur jaune. Nous l’avons exhumée puis replantée chez nous dans une plate-bande. Mise à l’abri des mauvaises herbes par une mini-clôture de broche.
Le plant n’a pas refleuri l’été suivant. Mais, depuis, d’autres marguerites ont poussé sur la pelouse. Cet été, j’en ai compté cinq. Que j’évite soigneusement quand je tonds le gazon; ce qui lui donne un air négligé. M’en fous. Je protège les marguerites.
Sans doute par naïveté. Car la marguerite est d’origine orientale; elle vient probablement d’Iran. De là, sauvage et indomptée, elle a tapissé les champs, les terrains vagues et le bord des routes jusqu’en Europe. Embellissant les endroits secs et les sols pauvres. Luttant à la dure contre l’envahissant pissenlit.
Elle a franchi les mers, j’imagine sur le dos d’un albatros, ou, plus prosaïquement, sur un navire, dans un pot à fleurs. Jusqu’en Amérique, jusqu’au Cimetière Côte-des-Neiges, jusqu’à ma maison.
Il doit y avoir un message là-dedans. Qu’il y a d’autres façons de chercher l’amour qu’en arrachant ses pétales: elle m’aime, elle m’aime pas, elle m’aime, elle m’aime pas. N’effeuillez plus les marguerites.